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La RSE est-elle une démission de l’état?


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Et ce matin dans le Monde des Bisounours, j’ai envie de vous parler de RSE, vous savez, la fameuse Responsabilité Sociale des Entreprises. Eh oui, c’est que l’entreprise est devenue le cœur de la société. Pas les individus, encore moins les groupes sociaux, non. L’entreprise. Modèle idéal de gouvernance dont on veut imposer l’efficience et la rationalité supposées même à l’état, l’entreprise est parée de toutes les vertus de la productivité et de la réactivité économique et politique du monde. Ne manque qu’un point, qui est pourtant essentiel pour aller jusqu’au bout de ce paradigme la mettant au cœur de nos valeurs : une dimension sociale qui nous permette d’associer à l’entreprise la portée morale nécessaire pour en faire un modèle total. Et pour cela, nous avons la RSE.

Alors évidemment, si vous êtes, comme moi, un Bisounours échaudé, vous vous dites sans doute que dans bien des cas, ce que l’on appelle de la RSE n’est guère plus que du vent. Et forcément, vous n’aurez pas intégralement tort. Mais pas non plus intégralement raison car de fait, la RSE s’implémente de plus en plus et se réglemente, aussi. C’est justement d’un de ces points de réglementation dont j’aimerais vous parler. Figurez-vous qu’au bulletin officiel marocain du 02 juin 2016 est paru le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux. Vous me direz, mais que voilà un sujet pas du tout fascinant ! Vous n’aurez pas forcément tort, si, comme moi, vous n’êtes pas appelés à répondre à des appels d’offres de travaux pour l’état marocain. On y parle de l’attribution des marchés de travaux, des obligations contractuelles des parties, de l’organisation des chantiers et même des mesures écologiques à respecter. Mais pas que. L’article 35 de ce cahier de clauses administratives  est tout à fait fascinant. Jugez-en plutôt : intitulé Action de Formation et d’alphabétisation dans les chantiers, il stipule la chose suivante et sur ce coup, je vais le citer in extenso.

« Lorsque le délai d’exécution du marché est inférieur à 18 mois, l’entrepreneur peut, à titre bénévole et à sa charge, assurer au profit de ses ouvriers, des séances de formation et d’alphabétisation dans des locaux à l’intérieur du chantier, aménagés et équipés à cet effet.

Lorsque le délai d’exécution du marché est égal ou supérieur à 18 mois, l’entrepreneur doit procéder à l’organisation de cours de formation et d’alphabétisation sur le chantier. À cet effet, il doit :

– organiser des séances d’alphabétisation totalisant au moins 4 heures par semaine ;

– affecter des locaux aménagés et équipés à cet effet sur le chantier ou à proximité immédiate ;

– veiller à ce que les agents chargés des cours d’alphabétisation utilisent des manuels conçus et élaborés à cet effet ;

– veiller à la délivrance à la fin du cycle d’alphabétisation d’un certificat signé par ses soins.

Si l’entrepreneur ne se conforme pas aux dispositions du présent article, il s’exposera à l’application des mesures coercitives prévues à l’article 79 du présent cahier ».

Lesquelles, en gros, sont essentiellement différentes conditions de rupture de contrat.

Alors que vous semble de cette clause de formation et d’alphabétisation sur les chantiers ? C’est typiquement du ressort de la RSE. Ce n’est pas de la formation continue, car l’idée n’est pas de faire progresser les ouvriers dans leur carrière, en vrai, mais bien de pallier une déficience éducative trop présente au Maroc. À dire vrai, ce type de clauses existe depuis un certain temps et se trouve beaucoup en Afrique, elles sont généralement liées à l’implantation de raffineries ou autres gros contrats pétroliers. On estime que l’impact de l’implantation d’une grosse entreprise, très souvent étrangère est tel qu’il doit s’accompagner de changements positifs pour la société, laquelle est pauvre et peu à même de mener elle-même ses propres changements.

Mais en dehors d’une dimension d’impérialisme culturel auquel on ne peut s’empêcher de penser, et en l’évacuant totalement dans le cas présent puisque a priori, bien des entreprises maroco-marocaines seront amenées à répondre à des appels d’offres de travaux, ce qui est frappant c’est qu’il s’agit ni plus ni moins d’une délégation de prérogatives de l’état au profit – ou plus exactement au détriment des entreprises. Eh oui, éduquer sa population, c’est tout de même un des attributs de l’état. Et la délivrance de diplômes – pardon, de certificats, logiquement, aussi. En tout cas, si l’on veut qu’ils aient la moindre valeur, sans quoi ils constituent un simple bout de papier que l’ouvrier pourra peut-être péniblement déchiffrer. Et là, mes amis, mon cœur balance : d’un côté, tout effort visant à rendre l’analphabétisme marginal m’agrée, tant je trouve honteux que des décennies de plans d’action tous plus volontaristes les uns que les autres aient accouchés de souris pathétiques et d’une population toujours analphabète à 45 %. De l’autre, je ne crois pas qu’une entreprise de chantier ait vocation à former et entretenir une flotte d’enseignants. Ce n’est ni son rôle ni son métier et tout cela risque de déboucher, si tant est que la mesure soit respectée, sur des résultats ni faits ni à faire. Ce qui, in fine, m’amène à la réflexion suivante, qui me paraît tout de même essentielle : ça suffit le flou artistique sur les attributions morales des entreprises et de l’état. Le fait est que l’entreprise n’est pas un modèle global. Elle a son utilité et elle est, de fait, centrale dans la pensée politique et économique actuelle. Néanmoins, l’état se dessaisit beaucoup trop de son rôle et, à force de le faire, perd sa légitimité, son autorité et son pouvoir, au détriment de tous car l’entreprise ne peut pas le remplacer, quoi qu’on en dise. Et si chacun revenait à ses fonctions premières, admettait, par la même occasion, sa vocation à fonctionner selon des modalités différentes et complémentaires ? Et si nous revenions, finalement, à un modèle d’organisation basé sur les besoins des citoyens, lesquels ne sont pas adressés et c’est normal par des entreprises qui ne conçoivent les gens que comme des employés, des fournisseurs ou des clients ? Bref, et si l’état jouait son rôle, tandis que l’entreprise revenait à sa place, centrale mais pas totale ?


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