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Est-ce que parler, c’est agir?


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Une fois n’est pas coutume, ce matin, je dénonce : c’est Naïma qui m’a proposée de faire mon Bisounours sur ce sujet, parler et agir, puisque la différence, l’opposition même avait été évoquée encore récemment. Au départ, j’étais réticente, un peu mal à l’aise : c’est qu’il me semble que je l’avais déjà traité, ce sujet et puis bon, on a beau être à quelques jours du bac, on n’est peut-être pas obligé de faire dans le bateau philo à trois dirhams, le conseil serait mauvais, de toute façon. C’est vrai : bien sûr que parler, c’est agir. Dénoncer, c’est agir, par exemple. Souvent de manière bien plus décisive que ce que je viens de faire ce matin, quand on dénonce un crime, une corruption ou bien qu’on fasse œuvre de délation et que des hommes raflés en meurent. Témoigner, c’est agir, enseigner c’est agir et même, oui, même ce que je fais là, qui est mon travail et qui n’est que parole, c’est agir.

Alors à quoi bon accepter de l’opposer, une fois de plus, parole taxée de facile, de potentiellement mensongère, à la sacro-sainte action qui n’est pourtant pas, en nature, si différente ? Non seulement parce que la parole est fondatrice – un acte légal qui change le monde et son état même à de multiples occasions, quand on se marie, quand on fait contrat, quand un juge dit la loi et énonce un verdict, mais parce que fondamentalement, il y a des actes mensongers, mauvais, impurs comme il y a des paroles corrompues, faibles ou violentes. Oui, bien sûr, parler, c’est agir et il n’y a pas, en nature de vertu supplémentaire à l’acte. Je dirais presque au contraire, dans une civilisation des religions du Livre où la Parole Divine a été retranscrite, parfois si mal en actes qu’il faut toute la science cabalistique pour retrouver les Mots du Créateur. Au Commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu. On pourrait rajouter et avec les Prophètes qui tous, étaient des orateurs, transmettant leur savoir et leur vision qui changeaient le monde et la destinée des hommes par le dire qui est, plus que tout, faire. Dans la religion chrétienne, pour apocryphe qu’il soit, l’Acte des Apôtres est parole d’évangile et ce n’est pas pour rien que l’on parcourt le monde en répandant la bonne parole. Et en Islam, dire la Chahada suffit à faire le musulman. Bien sûr que parler, c’est agir et c’est presque violemment nier notre culture que de s’imaginer autre chose.

Pourtant Naïma avait raison de me proposer ce sujet. Grandement raison, mille fois raison. Parce que voyez-vous, ces derniers temps, vingt fois, cent fois par jour, on l’entend, cette remise en cause, devenue l’expression même – vérité qui change le monde, elle aussi, quelle ironie ! Du doute amer apposé comme un sceau aux actes (oui, aux actes!) des autres, soupçon fondateur d’immoralité : parler, c’est facile, mais les actes, ah, les actes… C’est le refus de consentement dans son essence, la sagesse ricanante des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient. C’est, en fait, le chat échaudé qui craint l’eau froide, celui qui à force d’entendre des discours, souvent taxés de creux, ne veut plus croire que quoi que ce soit en ressortira. On pense alors aux hommes politiques dont les actes sont vides, faibles voire inexistants. Et pourtant, étonnamment, c’est aux discours, qui parfois avaient été si beaux, qu’on en veut obstinément de nous avoir fait espérer qu’il en aille autrement, quand visiblement, ce sont les actes qui sont défaillants.

Alors c’est vrai qu’en ces temps plus que jamais médiatisés, la parole est déformée, manipulée, dévoyée. La Novlangue, acte des plus barbares et des plus violents qui soit, paralyse la pensée tous les jours, formate à se renier soi-même, empêche d’appréhender la complexité qui pourtant sauve du manichéisme et on y est soumis, encore et encore. Et d’ailleurs, remettre en cause la parole, mais sous-entendre une vertu morale à l’acte qui lui serait opposé, dans un mouvement productiviste, mécaniste, objectivable du monde en est issu, directement. C’est typique : utiliser le langage pour affirmer sa relativité même tout en sous-entendant une valeur absolue à quelque chose qu’il n’est plus possible de questionner du haut de son piédestal : l’acte qui n’est pourtant pas toujours fondateur et que la parole, toujours précède. C’est marrant, moi qui n’aime pas le coaching, je dirais pourtant que la Novlangue est la programmation neurolinguistique qui nous viole le cerveau tous les jours tant elle  nous force à penser contre nous-mêmes. Parce que le glissement sémantique est désormais presque absolu. On est un homme d’action quand avant, on n’avait qu’une parole, qui faisait l’homme. Seulement voyez, je crois moi que l’humain, car bien sûr, quand je dis homme, je parle humain, n’a pas changé. C’est en parlant qu’il décide d’agir et qu’il agit le plus, du plus trivial au plus fondamental. C’est en disant je t’aime et non en faisant l’amour qu’il s’engage, par exemple, tant on sait tous que ces actes-là peuvent être mécaniques, mais les paroles pesées, lourdes de sens et d’avenir. C’est surtout en parole qu’on dit je et qu’on s’affirme en tant qu’individu au monde. Il y a matière à s’interroger, matière à réinformer quand nier ce qui nous constitue en essence, ce qui fait justement que nous collaborons, que nous aimons, que nous débattons, que nous sommes au monde irréductiblement différents des autres et malgré tout en lien avec l’altérité par la parole même est nié dans sa valeur et taxé par la bande -mais constamment ! D’immoralité. Alors bien sûr, la parole peut être mensongère, impure, impie. Mais parce qu’on peut être insincère, peut-on cesser d’être homme ? Chroniqueuse, plus que tout autre peut-être, je sais que je n’ai qu’une parole ; j’en fais acte tous les jours et profession, et foi.


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