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La banque mondiale décrète la disparition des pays en voie de développement


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Et ce matin, on va parler du rapport des indicateurs annuels de la Banque Mondiale. Vous me direz, ouhlala, mais c’est gros un tel rapport et ça doit être plein d’enseignements et j’en suis bien d’accord, puisque tous les ans, ce sont quelque 200 pays sur lesquels on fait le point, avec des statistiques dans tous les sens, économiques bien sûr, mais aussi de développement, etc. Ceci dit, en dehors du détail de la chose, de grandes orientations se dessinent aussi tout de suite à la lecture d’un rapport de cette nature et c’est de l’une d’entre elles que je veux parler parce que le changement ne vous semblera peut-être pas flagrant et pourtant… C’est, comme d’habitude, dans la magie des mots que tout s’opère

Eh oui, vous le savez, au Commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu, un verset de la Bible que tout bon lobbyiste connaît par cœur et applique avec ferveur. Or donc quel est ce mot changé ? Eh bien figurez-vous que désormais, pour la Banque Mondiale, il n’y a plus de distinction entre pays développés et pays en voie de développement. Oust, dégagée, la notion, qui permettait aux Nations Unis d’imposer une partie de leur politique, pour des raisons de vertu de développement à quelque 160 pays dans le monde, tout ça, c’est fini. N’est-ce pas merveilleux, me direz-vous, un signe de la fin des temps de l’impérialisme colonial, enfin le traitement égalitaire entre pays et nations, et si tous les pays se tenaient par le PIB, les marchés courraient, enfin libres et heureux dans un monde unifié…

Ahem, oui, je m’égare dans mon enthousiasme peut-être un tant soit peu ironique. Oh, si peu… Alors dans le détail, pourquoi cette disparition, qui, contrairement au livre, n’est pas un simple exercice de style, un peu fastidieux mais passionnant ?

Deux arguments sont, contrairement aux pays, développés : le premier est que, de toute façon, cette histoire de pays en voie de développement, ça n’a jamais été bien clair. Certes, la Banque Mondiale disait tout bêtement que les 2/3 du bas du classement économique étaient en voie de développement quand le tiers supérieur était développé. Mais, quand on y pense, c’est tout de même très artificiel, tout cela. Et d’ailleurs, explique Umar Serajuddin, économiste en chef au bureau des statistiques de la Banque Mondiale quand on lui pose la question et je cite, « le problème, c’est qu’il y a trop d’hétérogénéité entre le Malawi et la Malaisie pour être classé dans le même groupe – la Malaisie est bien plus semblable aux États-Unis qu’au Malawi ». Fin de citation. Deux petites remarques en passant : 1- si l’argument principal est que les deux pays sont trop dissemblables pour être dans le même groupe, pourquoi alors ne faire qu’un seul groupe, de, je ne sais pas, moi, les États-Unis et le Malawi, tiens ? Ensuite, je ne sais pas pour vous mais moi, devant tant de mauvaise foi, je ne sais plus dire que Whoua ! Non, non, j’admire…

Deuxième argument développé, ahem, en faveur de la fin de classification : de toute façon, c’est plus utile. Allez, dans les années 60, c’était logique, car des indicateurs de développement comme la mortalité infantile et maternelle étaient très clairement répartis en deux groupes : pays développés et les autres, où l’on mourrait beaucoup plus. Mais désormais, grâce à l’efficacité des objectifs du Millénaire, ce n’est plus vraiment le cas et tout le monde est à peu près à égalité. Bon, alors, pour l’accès à la santé et l’espérance de vie globale, on repassera, mais détail que tout cela, ça se tasse, on vous dit. De même que la très grande pauvreté. Dès lors, et dans le cadre des nouveaux objectifs de développement durable, tout le monde est dans le même panier.

Oui, ça, c’est toujours vrai et je parie que quand les pays de 130 kilos de PIB parlent à ceux qui en font 60, ils écoutent aussi. Et notamment, comme ils doivent bien écouter quand on leur dit, pas moi, hein, toujours Serajuddin pour le compte de la Banque Mondiale, « les objectifs du Millénaire étaient conçus pour les pays en voie de développement… C’était les aides et ceux qui en avaient besoin. Mais les objectifs de développement durable considèrent chaque pays comme ayant besoin de développement, c’est universel ».

Mais pourquoi est-ce que je passe cette musique ? Ne vient-on pas de me dire qu’au contraire, nous étions en plein universalisme bisounours, avec développement durable pour tout le monde ? Ah, c’est que voyez, certains Bisounours ont un peu de mémoire. Quel était l’enjeu de la COP 21, vous vous souvenez ? Oui, justement, déterminer des objectifs de développement durable… Avec les pays en voie de développement arguant, les saligauds, qu’ils avaient bien le droit, eux aussi, de polluer un peu pour se développer. Et que les pays développés, eux, devaient payer les pays en voie de développement pour qu’ils fassent un effort. Mais dites-moi pas que c’est pas vrai, si la distinction n’existe plus, est-ce que cette mesure, évoquée, entérinée, pas vraiment très claire non plus, ne va pas disparaître en fumée ?

Oui, c’est magique. La Novlangue et ses effets géopolitiques ont encore de beaux jours devant eux.


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