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Comme le sourire d’une jeune femme


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Une jeune femme, souriante, entre dans une administration et lance un joyeux « Sabah Al Kheïr »… Petit moment de silence… Puis, un homme, qui n’a pas même levé la tête, répond, le ton monocorde et distant : « Wa aalaïkoum Salam… »

Alors ? La jeune femme qui souriait, du coup, ne sourit plus.

Plus encore, le très joli sourire qui rendait son visage si lumineux, si frais, si aimable, ce sourire spontané, semble presque vouloir disparaître, se cacher, ailleurs… Que s’est-il passé, ici, qui peut nous sembler anodin, mais qui en vérité, en dit peut-être long…

Une jeune femme, une jeune marocaine, a usé d’une expression qui, ni d’un point de vue de la forme ou du fond, ne trahit les règles de la bienséance, de la convivialité, ou de ce qu’il est convenu de nommer ici notre Culture.

Après tout, des générations entières ont été élevées, fait un usage quotidien de cette jolie expression qui veut, littéralement, que l’on souhaite à son prochain que sa matinée le comble de bonheurs et de bienfaits et de réception de bonnes nouvelles… Comme il est vrai que l’expression, aussi charmante soit-elle, – et si l’on veut être un peu puriste dans cette affaire, avait à l’origine pour fonction d’identifier un temps et un lieu, celui de l’intime.

Et qu’il se peut bien qu’alors elle ne doive pas passer la porte, le seuil de la maison du Père, – comme nous savons aussi que ce temps était celui d’une tradition qui, aussi rigoureuse soit-elle, par esthétique, n’était pas non plus rigoriste…  De sorte que l’on pouvait aussi dire « Sabah el Kheïr », sans que quelqu’un ne vous reprenne, usant, le ton monocorde et distant, d’une sorte de violence subtile.

Car, dans cette administration, ce qui se passe, ce matin-là, est on ne peut plus révélateur d’un usage sourd de la violence morale… Il faut, à cette jeune fille qui malgré le fait qu’elle puise dans sa culture, dans le tissu d’une langue, dans l’histoire sociale de ses manières, oui, il faut, à cette jeune fille donner une réponse qui, de fait, n’est pas celle que prévoie, depuis fort longtemps, – des siècles au moins !, le protocole de communication qui fût longtemps le nôtre… Mais bien lui signifier, par le ton de la voix et par la posture de la tête et du corps, que d’une certaine manière, la place de sa parole n’est pas ici.

Faisant alors que la réponse donnée ici, à un « « Sabah Al Kheïr »  se veut un « Wa aalaïkoum Salam… »,  parole magnifique, car elle contient une offrande, celle de la paix en retour, et celle de l’Echange, fondement même du lien social ; mais qui ici, vu le contexte particulier de son énonciation, renvoie à l’autre, une chose bien différente de la Paix, qui est bien la Rupture, puisque l’échange est refusé, et ce qui est renvoyé est la correction et la négation.

Comme si cette parole prononcée par une jeune fille souriante, par un beau matin, ces mots emplis de souhaits et de bénédiction pour celui à qui ils s’adressent ; comme si l’expression « Sabah Al Kheïr »… méritait, dans ce cas, le traitement que l’on réserve aux paroles presque profanatrices… Et l’on ne peut pas, ici, ne pas poser la question d’une morale, bigote, qui aurait pris pour cible notre grammaire sociale, vidant un « Wa aalaïkoum Salam… » de ce qu’il porte de bienveillance et presque d’amour, pour en détourner le sens à des fins d’exclusion…

Alors ? Du langage on peut faire soit le fil et l’aiguille qui recoud les liens, comme on peut faire une lame qui tranche net… Et il se peut bien que le langage soit, dans cette transition que nous vivons, l’enjeu d’une idéologie ayant pour objet la culpabilisation de l’Autre, qui commence, comme toujours, par la négation quotidienne de sa parole…

Combattre, par les mots, de nos cultures de nos traditions, simples, bienveillantes, séculaires… Combattre, avec ses mots pleins de joie, de soleil, de désir et de vie, ces mots qui portent en eux le Sacré, en ce qu’il a de plus lumineux, et de plus léger. Comme le sourire d’une jeune femme.


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