logo-mini
Secret des affaires

Secret des affaires : l’Europe met-elle les lanceurs d’alerte au pas?


Partager

Secret des affaires

Et ce matin, on va parler d’une directive européenne pas du tout Bisounours qui vient d’être adoptée, jeudi dernier, par une très large majorité de quelques 503 voix contre 131 et 18 abstentions. Vous savez, cette directive qui a provoqué pourtant deux années pleines de contestations, 50 ONG mobilisées pour l’empêcher, une pétition signée par 530 000 citoyens, des syndicats de magistrats, journalistes et salariés divers vent debout contre elle ? Non, pas TAFTA, ça, c’est un traité et la mobilisation, pour encore plus importante qu’elle soit, ne servira à rien non plus, il finira par être signé. Non, il s’agit de la directive pour protéger le secret des affaires. L’idée officielle du texte : protéger mieux les entreprises contre l’espionnage industriel et commercial. La résultante probable : des outils formidables pour faire taire les lanceurs d’alerte qui révéleraient les affaires. C’est que la définition du secret des affaires est vague : « savoir-faire ou informations » ayant « une valeur commerciale, effective ou potentielle. Ces savoir-faire ou informations devraient être considérés comme ayant une valeur commerciale, par exemple lorsque leur obtention, utilisation ou divulgation illicite est susceptible de porter atteinte aux intérêts de la personne qui en a le contrôle de façon licite en ce qu’elle nuit au potentiel scientifique et technique de cette personne, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité concurrentielle ». Bref, un peu tout, quoi.

Comme souvent dans cette affaire, l’exemple vient des États-Unis. En effet, la majeure partie des pays américains ne disposaient pas de législation spécifique pour protéger le secret des affaires dans cette acceptation floue. Eh oui, on régule la chose plutôt par des biais précis, comme la concurrence déloyale, la propriété intellectuelle, le vol de document, la clause de non-concurrence quand un employé part en emportant des documents, etc. Mais aux Etats-Unis, déjà sous l’ère Clinton, en 1996, on a mis en place une législation permettant de régler la question de manière très efficace, c’est le Cohen Act, lui-même inspiré des dispositions de l’article 39.2 du Traité relatif aux Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ou  » Traité ADPIC « ) annexé à la Convention de Marrakech instituant l’OMC. Les deux définissent les secrets d’affaires comme étant des renseignements secrets, commercialement valorisables, et protégés par des mesures appropriées. En gros, des brevets, quoi. Mais des brevets à l’américaine, qu’en prime on n’aurait même plus besoin de déposer mais serait de base accordés aux entreprises. Vous imaginez bien qu’une telle directive, ce ne sont pas les collectifs de journalistes qui l’ont demandé, eh non. C’est un petit groupe de multinationales, américaines (Intel, General Electric, etc.) et européennes (Michelin, Alstom, etc.) qui fait du lobbying sur la question depuis 2010. Le grand public a connaissance de cette bataille depuis 2014, au moment de son adoption par le Conseil des Ministres, c’est à dire par les états membres de l’Union Européenne, et moi je vous en parle depuis que j’en ai eu connaissance, parce que ça pose de gros, mais alors de gros problèmes.

Alors certes, depuis les débuts de la mobilisation contre le texte, il a évolué et il n’est, dit-on, plus opposable aux journalistes directement. Ils  devraient donc continuer à pouvoir faire leur travail parfois d’utilité publique, sauf que. D’une part, je ne vois nul part dans le texte le fait que le texte ne soit pas opposable aux journalistes, ensuite je ne vois rien qui permette de protéger les sources des journalistes. Or justement, on ne parle carrément pas des lanceurs d’alerte. Or nombre d’affaires ont été révélé suite à des accès illégaux aux documents, à des lanceurs d’alerte nécessaires. Pensons à l’ancien informaticien de HSBC Hervé Falciani, dont la liste volée de clients de la banque suisse a permis l’éclosion de l’affaire Swissleaks. Ou bien au Français Antoine Deltour, soupçonné par la justice d’avoir volé des documents au cabinet PricewaterhouseCoopers (PWC) pour faire éclater le scandale LuxLeaks. On peut également citer l’affaire des pesticides de Monsanto ou bien encore les différents scandales médicaux, du vaccin Gardasil au Mediator en passant par les prothèses mammaires en silicone industriel. Or pour les lanceurs d’alerte, la directive n’est pas claire. L’article 5 de la directive dit seulement que ceux qui violent le secret des affaires ne pourront pas être poursuivis s’ils ont « agi pour protéger l’intérêt public général » en révélant une « faute, une malversation ou une activité illégale ». Et là mes amis, le diable est toujours dans les détails : cela signifie qu’il va falloir que les lanceurs d’alerte fassent la preuve qu’ils voulaient protéger l’intérêt général et qu’il y avait faute, malversation ou une activité illégale, charge au juge de statuer si les raisons sont suffisantes. Mais les lanceurs d’alerte ne sont pas procureurs et puis quid des scandales moraux, type Panama Papers, justement ? Pour Transparency International, « l’alerte éthique peut pourtant porter sur des violations des droits de l’homme, des risques pour la santé ou l’environnement » sans pour autant que cela soit exactement une faute, une malversation ou une activité illégale. Et de poursuivre : « il faudra attendre que la jurisprudence se stabilise pour savoir ce qu’il en est vraiment, ce qui risque de prendre du temps et, en attendant, de permettre aux entreprises d’imposer le silence sur leurs activités ».

Alors vous me demanderez, pourquoi est-ce que cette question du secret des affaires en Europe nous importe autant ? C’est que, à peine acté aux Etats-Unis, le Cohen Act devenait la norme de l’Alena, idem dans le Pacifique. Alors nous… n’en parlons pas, de toute façon, nous sommes déjà en plein dans un processus de normalisation des législations en fonction du droit européen et puis, c’est pas comme si on n’avait pas déjà du mal à faire une loi sur le droit d’accès à l’information, conforme à la constitution. Bref, le journalisme d’investigation, profession déjà moribonde est désormais bel et bien mort, vive le… Quoi, déjà ? Ah oui, le ton journalistique


Poster un Commentaire

douze − deux =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.