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Le Grand Marché Transatlantique en questions


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Eh oui, ce matin dans le Monde des Bisounours, on va parler du Grand Marché Transatlantique ou GMT ou bien encore Tafta comme dans Transatlantic Free Trade Agreement, ou bien encore TTIP comme dans Transatlantic Trade and Investment Partnership et même CETA comme dans Comprehensive Economic and Trade Agreement.Plein de noms pour un seul projet de libre échange que les États-Unis et l’Union Européenne tentent de signer depuis plus de 20 ans et qui continue, encore et toujours à rencontrer des résistances dignes de villages gaulois, alors même que la plupart des négociations sont secrètes. Tenez, l’an dernier, quand je vous en avais parlé sur cette antenne, l’accord devait être finalisé avant la fin 2015. Cette année, après une pétition rassemblant quelque 3 millions de signataires européens, les négociations ont reprises le 19 octobre et les spécialistes pensent déjà qu’elles n’atteindront pas leur but, c’est-à-dire un accord avant fin 2016. Alors pourquoi ? Non, parce que,  a priori, l’idée est belle : faire tomber toutes les barrières au commerce pour non seulement enrichir les peuples mais aussi éviter les guerres. Car tout le monde le sait bien, non ? Quand on commerce, on ne s’entretue pas. Montesquieu déjà le disait et depuis, presque tous les chefs d’états l’entonnent une main sur le coeur et l’autre sur le portefeuille d’actions. Ahem, je suis injuste, tous ne sont pas de vils comploteurs, certains, naïfs, mal informés ou mal intentionnés selon l’expression consacrée, y croient sans doute. Mais dans les détails, comment ça va marcher ce grand Machin, qui, ne nous leurrons pas, va s’appliquer partout, une fois qu’il sera signé. Non, parce que son pendant, le grand accord transpacific progresse lui aussi et que même un journal du PC chinois estime que la Chine devrait le rejoindre, donc soyons clairs, ce sont de nouvelles normes qui s’édictent qui vont s’apppliquer à tous.

Selon une étude du Centre for Economic Policy Research, un organisme émanant de grandes banques que l’on nous vend comme étant indépendant, le GMT permettrait de doper la production de richesses chaque année de 120 milliards d’euros en Europe et de 95 milliards d’euros aux États-Unis. N’est-ce pas que c’est merveilleux ? Concrètement, comment ça va marcher ? L’idée est d’éliminer toutes les barrières au commerce, c’est-à-dire : supprimer les derniers droits de douane, réduire les barrières non tarifaires par une harmonisation des normes et permettre aux investisseurs de casser tout obstacle réglementaire ou législatif au libre-échange.

ça vous paraît une bonne idée ? Regardons de plus près. La première conséquence évidente du GMT, loin d’être un enrichissement conséquent sur les deux rives de l’atlantique, c’est d’abord une énorme perte de souveraineté des états. Selon le mandat de l’Union européenne, et je cite, « les obligations de l’accord engageront tous les niveaux de gouvernement » et ne pourra être amendé qu’avec le consentement unanime des signataires. Ce qui veut dire, en clair que non seulement une alternance politique quelconque ne sert plus à rien pour modifier la donne, mais en plus que tout ce que l’accord prévoit devra être implémenté à tous les niveaux, de l’état fédéral américain à la commune. Or, comme l’accord prévoit que l’on doit et je continue à citer, « fournir le plus haut niveau possible de protection juridique et de garantie pour les investisseurs européens aux États-Unis » et vice-versa, notamment en permettant aux entreprises d’avoir recours à un tribunal arbitral pour casser les dispositions faisant obstacle au libre-échange, cela signifie que, pour absurde que ce soit, on va en arriver à pouvoir attaquer jusqu’aux réglementations municipales devant un groupe d’arbitrage privé international pour peu qu’elles constituent une limitation au droit des investisseurs à, et je cite encore « investir ce qu’il veut, où il veut, quand il veut, comme il veut et d’en retirer le bénéfice qu’il veut ».

Non, c’est vrai, ça. J’ai mauvais esprit quand même. Permettre à l’entrepreneur, pardon, investisseur, ce héros des temps modernes, « d’investir ce qu’il veut, où il veut, quand il veut, comme il veut et d’en retirer le bénéfice qu’il veut », what could possibly go wrong ? D’ailleurs, on a du recul pour en juger. Cela fait 20 ans désormais que l’ALENA existe. On voit bien à quel point cet accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique a profité à tout le monde, n’est-ce pas ?

Alors, pour les petites, c’est pas sûr. Mais pour les grosses, hamdoullah, l’accord a été profitable. Par contre, pour les états et les populations, pas si sûr. L’accord était censé créer des emplois. En fin de compte, il a créé de la délocalisation, ce qui a conduit à une perte  de près de 900 000 emplois aux États-Unis et une fragilisation de pas mal d’autres. Ces emplois atterrissant au Mexique essentiellement, le Mexique aurait dû, lui au moins, bénéficier de l’accord. Eh bien non ! Car suite à l’effondrement des barrières au libre-échange, le marché mexicain a été inondé de produits agricoles issus de l’agriculture intensive américaine, ce qui a fait d’abord s’effondrer le marché local, a ruiné les exploitants locaux et les a donc mis sur un marché du travail encore tiré vers le bas.

Comble de l’ironie, l’exploitation industrielle de ces ressources agricoles, notamment le maïs, par exemple, utilisé pour produire de l’éthanol, après l’effondrement des productions locales, on conduit à une augmentation du prix des denrées de base délirantes. Ainsi, la tortilla, aliment de base là-bas comme le pain l’est ici a bondi de 280% en 10 ans. Et en tout, sur les 20 ans de l’accord, le panier de la ménagère a été multiplié par sept ; le salaire minimum, seulement par quatre. Alors que l’Alena devait leur apporter la prospérité, plus de 50% des Mexicains vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Du côté américain, c’est pas mieux puisque le salaire médian stagne depuis vingt ans, alors que la productivité des travailleurs augmente. Dans la mesure où, dans le même temps, les produits de base ont augmenté de pas moins de 67%, la perte réelle de niveau de vie est conséquente. Bref, pour le citoyen lambda, autant dire…

Alors comment expliquer que les états soient si enthousiastes à l’idée de signer cet accord, dont on sait par ailleurs que les populations sont majoritairement contre ? Ah ! la vérité, je n’en ai pas la moindre idée. Ce que je peux vous dire, c’est que des deux côtés, américain comme européen, on promeut activement la chose… Et tandis que, en apparence, les politiques au moins européens ont pris en compte le rejet massif de certains dispositifs les plus contestés comme cette idée de tribunal arbitral entre les états et les entreprises, en vérité, on n’a rien fait de bien concret en ce sens. Or les exemples de ce que ce type de dispositif a déjà donné par le passé ont de quoi faire frémir. Ainsi, l’Argentine a dû payer quelque 600 millions de dollars à des entreprises comme Aguas de Barcelona, CMS Ernergy et Vivendi pour avoir fixé un prix maximal d’accès à l’eau et à l’énergie, l’Équateur a été condamné à payer 1,8 milliards de dollars de compensation à Occidental Petroleum pour avoir nationalisé son industrie pétrolière, Vattenfall réclame en ce moment même à l’Allemagne plus de 3 milliards de dollars pour avoir voulu sortir du nucléaire, Véolia poursuit l’Égypte qui fait passer son salaire minimum de 41 à 71 euros par mois, etc. ad nauseaum et au-delà, sans même vous parler du cas des cigarettiers. Mais s’il n’y avait que cela ? Non seulement Tatfa, GMT, CETA ou TTIP permet aux entreprises d’avoir recours à l’arbitrage contre les lois démocratiques des pays juste parce que c’est drôle, il prévoit aussi, par un mécanisme dit de coopération réglementaire, de permettre aux lobbys d’être consultés en amont lorsqu’un dispositif réglementaire peut les affecter. Autant donner les clés de la bergerie au loup.


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