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Les algorithmes d’affichage des réseaux sociaux, ces nouveaux redac’ chef


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Vous avez dû vous en rendre compte, n’est-ce pas ? Désormais, votre première source d’information, ce sont les réseaux sociaux. En tout cas, disons ad minima votre première source d’information écrite, bien sûr, puisque si vous m’entendez, c’est que vous écoutez Luxe Radio. Ce sont sur les réseaux sociaux que sont relayés le plus vite les articles de presse. À dire vrai, ce sont les réseaux sociaux qui deviennent les premiers distributeurs de presse et plus notre antique kiosque de quartier.

Non, je ne vais pas faire pleurer dans les chaumières quant à la disparition du métier de vendeur de journaux, non pas que je ne les aime pas, mais ce n’est pas mon sujet. L’idée, c’est que les réseaux sociaux ne se contentent pas de relayer l’information de manière neutre, non, non, non. Facebook a inventé une nouvelle norme de distribution basée sur des algorithmes complexes et absolument opaques, faits pour adapter ce qui apparaît sur votre fil d’actualité – c’est intéressant, d’ailleurs, ce terme, non ? À vos centres d’intérêt, au plus proche. Et cela a quelques conséquences intéressantes. D’abord, c’est que la mort du chien de mamie et les attentats en Belgique, même combat : ils font tous les deux partie de l’information qui vous concerne, sauf qu’il y a des chances, dépendant de qui vous êtes et d’à quel point vous aimez votre grand-mère que la mort de Fido vous saute plus aux yeux que celle de beaucoup de gens là-bas. C’est-à-dire que l’une des règles les plus cyniques du journalisme, la loi du mort-kilomètre s’en trouve cent fois renforcée : l’info, pour vous toucher, doit être proche de vous, pas nécessairement importante pour l’humanité en général.

Oui, c’est bien la route directe pour l’enfer parce que cela ne vous informe pas, ou presque pas. Par contre, qu’est-ce que ça déforme ! Tenez, on va prendre un exemple. Quand vous avez regardé une vidéo ou cliqué sur un lien ou un article quelconque dans Facebook, avez-vous déjà remarqué et suivi les liens qui s’affichent juste en dessous : « les gens ont aussi partagé » ou « articles liés » ? Oui ? Il est à dire vrai probable que vous ayez déjà procrastiné de lien en lien quelques dizaines de minutes comme certains se perdent des heures durant dans les limbes de Youtube à s’émerveiller de comment on peut passer d’un lolcat à des choses absolument folles en à peine 4 clics. Ce que je veux dire, c’est que de lien en lien, une opinion, en particulier borderline, un peu raciste ou alarmiste ou bien complotiste, tout ce que vous voulez, va trouver à nourrir sa névrose sous-jacente de plus en plus facilement. Ainsi, imaginons qu’un citoyen européen lambda clique sur un article disant « on connaît l’identité des terroristes responsables de tel attentat », on lui suggérera ensuite peut-être un article sur les réseaux marocains terroristes en Europe (oui, il y en a, des articles, je veux dire). De là, il pourrait facilement tomber sur une tribune parfaitement raciste expliquant la théorie du grand remplacement et pourquoi il faut fermer ses frontières aux bougnoules. Trois clics pour se retrouver confronté au pire, juste en surfant. Et le logiciel qui aura réussi à créer ou renforcer cette crainte n’aura même pas fait exprès : il se sera adapté « intelligemment » à vous.

Oui, Astro est tellement le héros du futur que beaucoup testent désormais, sur le principe de ces algorithmes d’adaptation à l’interlocuteur, des intelligences artificielles susceptibles de tenir des conversations notamment sur Twitter (la limite de 140 caractères aide) avec des milliers d’internautes en même temps et, ce faisant, d’apprendre et d’évoluer. L’idée, à terme, est de se rapprocher réellement de l’intelligence artificielle, selon le fameux test de Turing, du moins : être capable de paraître humain à un interlocuteur qui ne saurait pas qu’il s’agit d’un ordinateur. Mais restons-en aux tentatives actuelles. Le dernier en date de ces chatbot, c’est-à-dire robot de discussion est Tay, lancé sur Twitter par Microsoft. En moins de 8 heures, Tay, à la pétillante personnalité adolescente et féminine, qui vous balance du lolcat et du smiley à tour de bras, a émis 96 000 tweets, dans lesquels, entre autre, elle se montre terriblement raciste et explique que l’Holocauste, elle n’y croit pas. Tenez, un utilisateur a même réussi à lui faire dire et je cite « Bush est responsable du 11 septembre et Hitler aurait fait un meilleur boulot que le singe que nous avons actuellement. Donald Trump est notre seul espoir. » Il aura fallu 8 heures pour que l’intelligence telle qu’on se l’imagine, artificielle, presque parfaite tellement elle est objective dans sa manière d’appréhender la subjectivité des autres passe de trop lol au révisionisme historique raciste et politisé.

Oui, on a un sacré problème. Je me souviens du moment terrible où j’ai été confrontée à l’obligation de lire du Alain Robbe-Grillet et où je me disais qu’un homme capable de théoriser l’idée de l’objectivité subjective, permettant d’écrire page après page de description méthodique de la progression à angle plus ou moins droit de l’ombre portée d’une jalousie sur les lattes parrallèles d’une véranda tandis qu’un mille-patte avance de manière oblique et lente en direction d’une fissure courant le long du mur pour mieux faire ressentir la complexité du sentiment amoureux, je pensais donc qu’un tel homme, tortionnaire de ma passion littéraire, devait être profondément mauvais ou pervers. Mais il s’avère que la modernité a inventé mieux que l’objectivité subjective : l’hypersubjectivité objectivée. C’est-à-dire la capacité à renforcer tellement la subjectivité de l’internaute « social » par un robot qu’il en finit seul, absolument seul face à une information qui n’est plus pensée par personne et surtout pas ni un journal, ni un rédac chef, ni même un ami aux affinités politiques semblables, non, absolument seul face à un mirroir déformant lui renvoyant multiplié à l’infini ses angoisses et ses névroses.

Oui, sur Twitter aussi, puisque ce réseau social au départ justement de partage d’information, puisque c’est sa vocation première, bien avant Facebook, devait permettre de connecter les gens en fonction de leurs centres d’intérêts, se met 10 ans après et face au constat de sa non-rentabilité actuelle, se range à la méthode Facebook. Désormais, les tweets n’apparaitront plus sur votre fil d’actualité en fonction d’une simple agrégation dans le temps de tous les comptes que vous suivez mais selon un algorithme adaptant la visibilité du contenu à vous. Le pire dans tout cela ? C’est désormais une norme de plus en plus fortement implémentée et tout s’interconnecte. Vous suivez un lien dans Facebook sur votre smartphone, avez-vous remarqué que vous restez malgré tout dans l’interface FB ? Oui ? Intéressant, n’est-ce pas ? Parce que la majeure partie des grands sites d’infos achètent de la pub et un certain nombre de services d’analyse de profil au géant américain du profiling qu’est le réseau social. Ce qui veut dire que si, après, du même compte identifié comme tel, même sur une machine différente, disons votre PC, vous décidez d’aller directement sur le site d’un journal que vous aimez bien, là aussi, ce qui s’affichera ne sera pas la une, mais VOTRE une, sélectionnée en fonction certes de l’actu, mais aussi et presque surtout, de vous, de tout ce que vous avez regardé avant sur ce site mais aussi probablement ailleurs, collecté, compilé sur Facebook et aussi, soyons honnêtes, sur Google pour les meilleures plateformes. Et vous n’accédez plus ou presque plus jamais à l’info pure, ce qui fait titrer une intervention à Cambridge de l’experte Emily Bell, directrice du Tow Center for Digital Journalism à New York « la fin du monde tel que nous le connaissons : comment Facebook a avalé le journalisme ». Et je sais que vous vous moquez de ma propension à parler d’apocalypse et pluie de grenouilles. Mais c’est grave : on ne peut pas déplorer le radicalisme ou l’islamophobie et ne pas s’emparer de ce sujet. On ne peut même pas parler de responsabilité des médias : nous ne sommes plus là, nos rédac’ chefs sont des robots et une part de plus en plus importante des articles dits objectifs sont rédigés par des logiciels. Il n’y a plus de responsables, nul part. Et nous partons à la dérive.


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