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Sommeil

Le sommeil : une question de politique publique


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Et ce matin, vous ne me voyez pas mais j’ai plus de cernes que de visage. C’est que, voyez-vous, ces derniers temps, je dors mal. Vous me direz que ça vous fait une belle jambe et je comprends. Mais comprenez, vous que ce qui me chagrine, c’est qu’à moi non, puisque bien au contraire, cela affecte ma posture, mon tonus et même, oui même mes capacités intellectuelles.

Pourtant, cela m’a amenée à me poser la question de savoir pourquoi je ne dormais pas exactement. Et surtout, si finalement le sommeil n’était pas une question bien plus publique et politique qu’on ne le penserait au premier abord.

C’est vrai, le sommeil est une affaire entièrement privée. Pourtant, elle concerne tout le monde. Or, que constate-on ? Selon toutes les études récentes menées sur ce sujet, en France, en Europe, aux États-Unis, les gens sont partout de plus en plus en manque de sommeil. En France, l’INSEE constate ainsi que nous avons perdu en moyenne 18 minutes de sommeil sur les 25 dernières années et que ce chiffre monte jusqu’à 50 minutes perdues pour les adolescents, tandis qu’un tiers des adultes dormirait moins de 6 heures par tranche de 24 heures en semaine, tentant tant bien que mal de rattraper leur déficit lors des weekends et des vacances. Et si chacun a ses petites habitudes face au dodo, partout, le constat s’impose : de nouvelles habitudes, écrans, interactions sociales, personnelles ou professionnelles s’interposent de plus en plus tard entre nous et le sommeil.

Arrivés au matin, tous, nous traînons des pieds et cela affecte notre vigilance, donc notre capacité à éviter des accidents comme notre productivité. Mais, me demanderez-vous, si le constat est clair, quelles solutions peut-on y apporter ? Jusqu’à présent, par une espèce d’aveuglement sélectif assez étrange, cette histoire de sommeil n’a presque jamais dépassé la sphère de l’intime et du conseil de bonne femme. Personne ne se penche très sérieusement sur ce que le sommeil a de construct social, politique, en ce qu’il est normé par la société même, encouragé ou bien dévalorisé.

Personne, hormis bien sûr les labos pharmaceutiques qui se frottent les mains de vendre somnifères après stimulants, carrément prescrits quotidiennement aux travailleurs de nuit aux États-Unis, par exemple.

Et c’est là, précisément là où le bât blesse : on ne fait rien pour améliorer les conditions de sommeil des gens. On constate que leur mode de vie est malsain, nocif à leur santé et on en pallie les symptômes, on ne règle pas le problème de fond. Oui, travailler en horaire décalés, c’est un souci, un problème qui fait s’accumuler plus de fatigue qu’on ne saurait le dire. Mais ce problème semble désormais concerner presque tout le monde, plutôt que quelques travailleurs payés plus et mieux pour ce que l’on sait être une contrainte grave ayant de lourdes répercussions.  Ainsi, combien de cadres reçoivent des mails de travail à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ? Des coups de fil ? Combien doivent faire une forme de veille, passive ou active sur leur profil professionnel sur les réseaux sociaux ? Et cela n’est qu’une part infime du problème : les travaux de voirie sont généralement réalisés la nuit. Tenez, les travaux en règle générale se poursuivent le samedi, parfois le dimanche. Ils commencent tôt, finissent tard. Et puis, il y a là aussi, le libéralisme économique qui entre en jeu.

Eh oui, de plus en plus, il est logique de valoriser la capacité touristique de sa ville en organisant des événements nocturnes. Paris se félicite par exemple de proposer pas moins de 350 événements toutes les nuits, laquelle est découpée en segments de revenus : début de soirée, jusqu’à 22h, puis dîner sortie, jusqu’à 1h, puis cœur de nuit, jusqu’à 5h et hop, les premiers travailleurs matinaux sortent, il est 5h, Paris s’éveille et la ville n’a toujours pas sommeil. Et ici, nous n’échappons pas à la modernisation puisque désormais, nous aussi posséderons notre supérette 24/24, notamment. Alors, vous me direz, c’est la vie, c’est le monde, qui change, bouge et auquel on doit s’adapter. Ça n’est pas si grave, si ? Le problème, mes bons, c’est que le sommeil n’est pas une option, c’est une nécessité. Et on ne peut pas s’adapter à n’être plus humains. Et ça, mes amis, plier le monde aux nécessités des gens, c’est exactement le sens de la politique.


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