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Quantified self

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Quantified self

Le philosophe Maurizio Ferraris s’est surpris lui-même. Un samedi soir, à 3 heures du matin, il trouve sur son téléphone un email professionnel et… y répond immédiatement, au beau milieu de la nuit… Il s’est ensuite demandé quelle était cette « servitude volontaire » qui l’avait fait se sentir tenu à travailler un samedi soir.

Les réponses qu’il trouve forment son ouvrage : Mobilisation totale, l’appel du portable. Il parle d’une ère « post Steve Jobs » qui serait celle de « la militarisation de la vie civile, de l’hyperenregistrement. » Notre italien nous propose de regarder l’informatique, dont le smartphone n’est qu’une forme, comme un outil qui nous mobilise. Au strict sens militaire — et il n’est sans doute pas anodin que ce verbe de mobiliser soit aujourd’hui parmi la panoplie obligatoire du vocabulaire managérial des entreprises, qui n’aiment rien tant qu’à « mobiliser leurs équipes. »

Ferraris expose que désormais tout est enregistré : s’il l’on a reçu un appel, un message, si on y a répondu ou pas, en combien de temps, etc. (Autrefois, avec le fixe, ce n’était pas le cas. Un appel manqué ne laissait pas de trace.) Notre vie quotidienne, individuelle est do-cu-men-tée.

Bien sûr, ici, le nom de Foucault vient tout de suite à l’idée, lui qui nous a rappelé comment, depuis le XVIe siècle, nous en sommes venus à nous organiser en disciplines. Discipline des individus, dans l’organisation sociale de l’école, du travail et des prisons, mais aussi disciplines du savoir. De l’examen permanent censé produire un savoir sur l’individu, discipliné par ce même mouvement.

Parmi les usages vantés par l’industrie, figure ce que l’on appelle le quantified self. Le « soi quantifié. » Mais à quoi peut bien nous servir de nous quantifier ainsi, au fond ? À part quelques cas extrêmes, comme la maladie ou l’exploration de milieux dangereux pour l’être humain, que nous sert de mesurer en permanence… notre poids, notre température, le nombre de pas fait chaque jour ?…

C’est que ce savoir, cette documentation, cette archive de notre individu, vient nourrir de gigantesques bases de données, le Big Data. Il nourrit une instance de pouvoir — médical, d’assurance, gouvernemental… — au centre du Panoptique de Bentham et qui espère trouver dans le comptage de nos pas quotidiens une règle mathématique qui permettrait, disons-le, « d’optimiser la gestion du flux » que constitue… l’humanité. Pour sa sécurité, cela va sans dire.

Mais cette humanité, ainsi comptée, pesée et mesurée, sommes-nous sûrs qu’elle en sortira gagnante ? Cette dissolution de l’être humain dans un langage binaire uniformisé ne participe-t-elle pas, non seulement à créer de plus en plus de divisions et, en effet, un état de « guerre totale », qui nous met tous en danger ?

Cela dit, l’outil informatique permet aussi de faire de la musique. On pourra le vérifier le 18 septembre à Marrakech, avec un set de l’immense Jeff Mills, DJ phare et pionnier de l’électro de Detroit.


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