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Coran

Quand un Coran en cache un autre


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Il n’est pas rare qu’un lecteur du Coran, qu’il soit musulman ou non, qu’il le lise en arabe ou traduit en français, et je ne parle pas d’une lecture liturgique, mais bien d’une lecture en quête de compréhension, ressente une certaine gêne, face à l’aspect fragmentaire et en apparence désordonné du texte. Et je dis bien en apparence !

Caractérisée par des ruptures narratives, une sourate peut par exemple être entamée par les péripéties d’un illustre personnage ou d’un Prophète, puis sans parachever l’histoire, passer soudainement à des versets cosmogoniques pour enchaîner avec des versets législatifs, sans aucun rapport en apparence avec les passages précédents. Ça peut en déconcerter plus d’un !

Très tôt, les premiers commentateurs du « Coran » ont tenté de résoudre ce faux problème en se basant sur des hadiths tardifs improvisés, et probablement faux pour la plupart, mais cela est une autre histoire, ceux des « asbab al nouzoul », c’est-à-dire des « causes de la révélation », menant au développement d’une approche « atomiste » du Coran, où chaque verset, est expliqué séparément et indépendamment de tous les autres et de son contexte, car ayant une cause directe et historique de révélation.

Et nous pouvons aujourd’hui évaluer assez bien les dégâts, tant sur le plan intellectuel que matériel, que peut causer une telle approche, usitée entre autres par tous les mouvements islamistes radicaux.

Puis fascinés à partir du IIème et IIIème siècle par les sciences et la rhétorique grecque, les exégètes musulmans, sous le règne des abbassides, ont développé à travers une abondante littérature, une lecture littéraire d’analyse de la structure du texte coranique, focalisée sur les figures de rhétorique et l’esthétique du texte, qui vise à analyser le texte coranique à travers le prisme de la rhétorique grecque.

Cependant, cette fascination pour la rhétorique grecque ou gréco-romaine, structurée selon un ordre linéaire, avec une introduction, un développement et une conclusion, et qui a pour but de convaincre par le Logos, a occulté l’existence d’une autre rhétorique, d’une autre clé de lecture linguistique et philologique, celle de la rhétorique « sémitique ».

Non linéaire, la rhétorique sémitique postule l’idée que le texte coranique, mais aussi biblique, est construit selon des schémas complexes de symétries, de parallélismes et de concentrismes, pouvant prendre différentes formes.

Prenant par exemple le schéma « concentrique », définit comme étant une structure où l’élément central de la sourate, s’insère entre deux volets de symétrie.

La première sourate du Coran, « Al Fatiha », telle qu’analysée par Michel Cuypers, le premier à avoir testé l’hypothèse d’une structure rhétorique sémitique du Coran, constitue un exemple simple et parlant, pour illustrer ce qu’est une structure concentrique.

Malgré les limites qu’impose une explication orale, et de surcroit dans une version traduite du Coran, nous allons y aller pas à pas.

La sourate « Al Fatiha » est composée de trois niveaux ou groupes de versets. Les deux groupes extrêmes sont composés comme suit : le premier (allant du verset 1 au verset 4) et le troisième (allant du verset 6 au 7ème), sont organisés de manière symétrique autour d’un verset central, le verset 5 : « Toi nous adorons, Et Toi nous sollicitons ».

Et comme dans toutes les organisations concentriques, l’élément central prend une forme différente des deux niveaux qu’il sépare. Ici il est clairement plus court, et permet aux deux groupes de versets périphériques, de communiquer, en établissant un lien entre les deux, comme une sorte de pivot sémantique et rhétorique.

Ainsi, le premier volet du centre, « Toi nous adorons », renvoie au premier niveau de la sourate, qui est une prière d’ « adoration », tandis que le deuxième volet du centre, « Toi nous sollicitons », annonce le dernier groupe de versets, qui est une « prière de demande et de sollicitations ».

Il y a également le rôle des rimes qui viennent renforcer la symétrie, puisque les trois niveaux se terminent par la rime en « în » :

  • Le premier niveau par « al din ».
  • Le deuxième par « nasta’in ».
  • et le troisième par « adallin ».

Cette organisation concentrique, en plus de révéler une parfaite symétrie, lève le voile sur une autre problématique. Car la sourate « Al Fatiha » est la seule où le verset « Au nom de Dieu, le Très-Miséricordieux, le Miséricordieux », la « Basmallah », est considéré en début de Sourate comme un verset, et numéroté comme telle. Car sans ce premier verset, qui fait partie du premier segment du premier niveau de la Sourate, toute cette symétrie s’effondre.

La rhétorique coranique, fractale et harmonieuse, vise à convaincre et à imprégner, en interpellant aussi bien l’esprit que le cœur.

Enfin, les structures de composition des « Sourates » que met en évidence la grille de lecture de la rhétorique sémitique, permettent de découvrir l’harmonie, la cohérence et l’extrême subtilité de l’organisation interne de chaque sourate, où chaque verset, n’est pleinement intelligible, que si mis en relation avec l’intégralité des autres versets par l’intermédiaire d’un pivot rhétorique central, ouvrant ainsi la voie à une relecture plus fidèle et plus profonde de la révélation Divine, rompant avec le littéralisme destructeur de certaines mouvances islamistes, qui se plient devant la lettre de la  Loi, mais en trahissent l’esprit, qui coulent un moucheron tout en avalant un chameau.

C’est cette richesse sémantique potentielle, et qui n’attend que d’être explorée, qui est mise en avant dans la Sourate 18 verset 109, où Dieu nous révèle que « Si la mer était une encre pour écrire les paroles de mon Seigneur, certes la mer s’épuiserait, avant que ne soient épuisées les paroles de mon Seigneur, quand même Nous lui apporterions son équivalent comme renfort.».


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