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Des pauvres, nous ne voulons rien savoir


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De quoi se nourrissent-ils réellement, quelle eau boivent-ils, quels vêtements portent-ils, où dorment-ils, où se réveillent-ils, et enfin, à quoi ressemblent-ils ces sept millions de nos compatriotes, ces sept millions de marocains qui vivent avec un peu moins, ou à peine un peu plus de 20 Dh par jour… On dit, en ce pays, depuis longtemps, c’est-à-dire, au fond, depuis toujours, qu’on ne meurt pas de faim, ici, chez nous… Cela, aussi, doit faire partie de cette exception, que longtemps, on a dit culturelle !

Sept millions d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards, donc… Dont les vies se résument à une seule question, comme l’énoncé d’un problème qui les poseraient tous, en même temps, énoncé économique, social, philosophique, et sanitaire… Et la question, dans leur cas, est la suivante : suffit-il de ne pas mourir de faim, ou de tant d’autres choses, pour être vivant ?

Ainsi, cette catégorie, pour laquelle il faudrait presqu’inventer une science, une sorte de sociologie du manque, du presque rien, ainsi ces humains qui, pourtant se chiffrent par millions, – sept -, faut-il le répéter, posent-ils aussi, au fond, la question de la vie même. Oui, est-on vivant lorsqu’on doit, chaque jour, accepter l’interdit qui est d’abord celui de ne pas vivre, de ne pas être, plus que possible, c’est-à-dire plus qu’il n’en faut, interdit de ne pas dépenser, dépasser le montant de ce possible qui est de 20 Dh… Qu’il faut, soit trouver, soit se forcer à ne pas dépasser si tant est qu’on les ait…

Cela change d’abord le rapport à la l’argent lui-même – qui ne se compte qu’avec des pièces qui vous permettent d’acheter, de payer votre subsistance en morceaux… Et ces morceaux, ces lambeaux de possible, ce sont la farine, le sucre, l’huile, les épices, les légumes… Qui s’achètent au détail, chez ces marchands dont les outils de mesure sont, au fond les seuls outils les plus précis et les plus valables, à qui voudrait inventer une sociologie du manque, une vraie science de la pénurie.

Une sociologie, une science, qui permettraient de mieux comprendre qu’au fond, avec 20 Dh il s’agit, pour les sept millions de corps dont nous parlons, non plus de seulement de subsister, mais de ne pas dépasser la dose de nourriture et à terme de vie, prescrites par des lois implacables… Comme cette science, si tant est qu’elle voit le jour, pourrait très bien nous en apprendre sur la puissance des faibles… Leurs capacités, face au Réel.

Mais pour l’heure, ces lois, font que des enfants souffrant de malnutrition, voient leurs cerveaux s’atrophier, des enfants qui, avant même de vivre des vies de carences, naissent déjà épuisés. Quant aux raisons, réelles, et véritables, qui font que ces lois dures et injustes perdurent, ces raisons, elles, ne s’épuisent pas.


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