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Schizophrènes

Il ne suffit pas de dire « Schizophrènes »…


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Schizophrènes

La Société Traditionnelle : celle des dispositions parfaites. Le Ciel et la Terre, les Animaux et les Hommes, l’Homme et la Femme, le Père et la Mère, toutes ces catégories fondamentales que disposa, pour nous, une sorte de grande loi générale du Monde, métaphore du Cosmos. Miroir tendu entre le Ciel et la Terre. Entre le Mystère et son acceptation. Soleil et planètes gravitant autour. Trônes et dominations, microcosme et macrocosme, dedans et dehors, visible et invisible. Un espace et un temps d’une nature, dont le minimum que l’on puisse en dire, à nous voir vivre, désormais, c’est qu’ils étaient tout autres.

Ainsi, y avait-il L’Imam, le Fou, la Prostituée, le Maître, l’Esclave, le Sorcier – société de ces Hommes peut-être différents, aux identités pouvant se trouver à mille lieux les unes des autres, mais qui se trouvaient toutes liées par des Hiérarchies invincibles. Temps, espace, des premiers et des derniers cercles. Des débuts et des fins de cycles. Des destinations et des prédestinations. Du peu de prise que les Hommes et les Femmes de ce temps pouvaient bien avoir sur les évènements ; comprendre plus encore, s’il le fallait, que les choses étaient ainsi faites qu’elles en étaient presque parfaites. Fixité et mobilité dialoguant dans un intime respect, une loi d’airain contre laquelle notre société savait qu’elle ne pouvait rien.

Et que c’était bien ainsi qu’elle entendait demeurer, pour durer – société traditionnelle, tableau de zellige, où chaque pièce a sa place, et ce, qu’importe sa taille, sa forme et son coloris… Dialogue aussi, entre le Centre et la Marge, entre le Jour et la Nuit, entre le Montré et le Caché. Mais voilà, – il suffit que l’Histoire se prenne pour le Destin, – que le Colon se voit, lui, jouant le rôle de l’Esprit du Monde, et voici que cet ordre, d’un coup, s’en trouve changé… Des idées et des mots entrent par effraction, – déplacent, transforment l’ordre, – sans pour autant le faire basculer, mais, d’une certaine manière, l’encerclent d’expériences autres, de vérités nouvelles et triomphantes, – crises, croisements, mutation.

Une société – la nôtre donc -, qui vit une telle expérience est semblable à une table de billard où toutes les boules ont été dispersées par un coup d’envoi trop violent – éclatement des dispositions d’origine… Mélanges, influences, – et voilà que notre Maroc qui fût traditionnel, voit les rôles et les fonctions comme devenues orphelins d’un Ordre quasi disparu, ou se démultiplier, – émergence de figures d’opposition. Et, naissance du clivage Tradition-Modernité ! On connaît la fortune de ce couple… Et même s’il a son avenir derrière lui, on sait bien comment s’organisent ses noces conceptuelles, que seuls les retardés, les démagogues et les paresseux se voient inviter à célébrer encore.

Oui, dans un pays, une société comme la nôtre, cette vieille antienne moderno-traditionnelle, ce vieux conte pour enfants postcoloniaux, ce vieux manuel pour psychologues réactionnaires n’a plus lieu d’être ! Et aujourd’hui, le problème, tant en politique, qu’en sciences humaines et sociales, n’est plus de savoir qui est moderne de qui ne l’est pas, qui reste traditionnel et qui ne souhaite pas l’être… Lorsque de nouvelles figures, depuis longtemps apparues, méritent qu’on les prenne pour ce qu’elles sont, des expériences en cours, des croisements inattendus, des alliages psycho-socio-culturels, qui ne sont pas encore sortis de la forge du Mouvant.

Et c’est tout l’intérêt de cet objet que l’on pourrait appeler le Nouveau désordre marocain, que d’être encore en formation, – cet énorme massif exige que l’on conçoive, pour y pénétrer, de nouveaux outils, des moyens conceptuels autres, et tellement mieux appropriés… Que le scalpel ou le marteau. Car il y a de tout, dans ce Nous dont nous n’avons pas encore commencé de faire le tour. Et ce tour, il n’est pas écrit qu’il doive seulement ressembler à la visite d’une équipe de jeunes internes suivant pas à pas le médecin chef qui foudroie du regard un coupable malade…

Sortir des clivages psychiatrisants ! Sortir notre imaginaire du tribunal sociologique, avec ces ennuyeux verdicts ! Et les violences qu’il propose… Cette sortie, il est vrai, nous propose un exercice plus difficile, plus complexe, où la tension nerveuse est présente partout. Marchons sur la nervure comme des funambules. Et puis, s’il est dit que nous sommes, au fond, un peu borderline, et bien nous saurons au moins à quoi nous sommes destinés… Et saurons bien mieux nous prémunir ! Car il ne suffit pas de dire « schizophrènes, nous sommes », pour avoir pensé… Par soi-même !


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