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Médias, politique et émotion : la fin de l’analyse légitime?


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Cet extrait d’un JT français pourrait avoir été délivré il y a quelques jours, alors que la radicalisation des CGTistes commençait déjà à prendre la France en otage. Mais non, il date de 2007, une autre crise. Mais le ton est le même : la violence déchire le pays, limite la guerre civile, pour une crise dont on se souvient à peine 9 ans plus tard. En fait, on n’est pas loin, mais alors pas loin du tout du traitement émotionnel que Fox News avait fait des no-go zones de Paris.

Oui, ridicule. Et le reportage de la chaîne américaine de continuer avec le témoignage d’un expert en on ne sait pas bien quoi qui explique qu’on est plus ou moins à Bagdad avec des voitures qui brûlent tout le temps et la police qui a peur pour sa peau.

Alors c’est vrai, on l’a vu encore ces derniers temps, il arrive tout à fait que la violence déborde, que des policiers soient attaqués, que des voitures et même des voitures de police brûlent. Pour autant, est-ce que, depuis 2007 et dans un mouvement continu, la France est en état de siège, attaquée de l’intérieur, avec des quartiers d’islamistes fous assiégeant les forces de police pendant qu’ailleurs, des CGTistes la bave aux lèvres harangueraient la foule pour prendre en otage, le barrage syndical en bandoulière comme une cartouchière d’explosif, la population terrorisée ? Toute personne censée n’étant pas de Fox News ou de mauvaise foi et ayant mis un orteil en France sait bien que non. Dans l’ensemble, et malgré des tensions sociales, des attentats dévastateurs ces dernières années justifiant l’état d’urgence, oui, dans l’ensemble, la France est un pays paisible. Alors pourquoi un traitement médiatique aussi brutalement alarmiste ?

Je n’aime pas tellement Mickey 3D mais pour le coup, il avait raison… Dès 1999. En fait, ce sensationnalisme de l’info qui sert les intérêts du pouvoir, la télé chienne de garde des politiques, c’est ce que dénonce Noam Chomsky toute sa carrière et que – je sais, je vous en parle tout le temps, Walter Lippmann théorise dès les années 20. Pourtant, on constate bel et bien une évolution tant ces derniers temps, l’émotionnel de l’info et du discours politique s’envole dans des emphases qui rappellent le meilleur des périodes de propagande pure.

Ça, c’est Robert Ménard, mis en musique par Usul, un excellent chroniqueur Youtube que je vous invite à suivre. Vous me direz, ce n’est tout de même pas non plus Monsieur tout le monde, il est quand même franchement à droite-droite… Mais à dire vrai, nous savons tous que ce discours traverse toute la classe politico-médiatique. En fait, il n’est plus possible de faire preuve d’esprit critique quand les valeurs de la Patrie sont en danger.

Tenez, là, par exemple, c’est Manuel Valls qui nous explique qu’il ne faut pas vouloir comprendre les terroristes parce que le faire serait leur chercher des excuses. Pourtant, refuser par principe d’analyser l’origine des actes, c’est un peu comme et je cite « refuser des explications géologiques aux tremblements de terre ». Cela, c’est ce qu’explique Frédéric Lebaron, président de l’Association française de sociologie et il n’a pas tort. D’autant moins tort que sa discipline, reine de ce qu’on a appelé la French Theory est désormais attaquée de toute part. Elle serait une faiblesse d’esprit, manquerait de réalisme, serait au mieux un bisounoursisme coupable d’extrême-gauche, au pire, la fabrique à dédouanement des monstres infâmes qui attaquent la morale, la nation et les braves gens.

Et qui aujourd’hui attaquent la nation, oui. On y est, la boucle est bouclée : il faut rompre avec ces empêcheurs de communier en rond. Analyser, aujourd’hui est coupable et l’émotion, seule à même de mobiliser la nation derrière Charlie comme un seul homme, par exemple. Attention, hein : on refuse l’analyse, mais on ne fait pas dans l’amalgame, non, non, non. Enfin… quand même, hein.

Oui, voilà ce que permet l’émotion : il suffit de dire moi, je suis français, voyez et ça veut dire… Bah rien, évidemment, mais finalement si, tout, tout ce que l’autre n’est pas. Et ce, quel que soit l’autre. Revenons à la crise actuelle : la CGT, cette organisation radicalisée, prend en otage la France. À croire que les syndicats ne sont pas français, non, en un coup, un seul, ils sont de l’autre côté du miroir. Ils attaquent – et on vient de vous le dire, il n’y a pas d’excuses, aucune excuse, les valeurs du pays. Ergo, tous les moyens sont bons pour abattre le monstre. Deux questions se posent : si les hommes politiques radicalisent leur discours sur le nationalisme et l’instrumentalisent pour tout et n’importe quoi, y compris à l’encontre de manifestations citoyennes, pourquoi mais pourquoi donc les journalistes suivent la ligne officielle comme un seul homme ? Le fait est, et je vous réfère à l’excellent livre de Serge Halimi, Dominique Vidal, Henri Maler et Mathias Reymond, l’Opinion, ça se travaille. On impose, un mot après l’autre, de ne plus réfléchir les choses à force de créer des vocabulaires clivants, impossibles à remettre en cause à moins d’être hérétique à la morale commune. Les modes opératoires de cette fabrique du consentement sont toujours les mêmes : produire de l’information, la rendre la plus accessible possible, noyer toute info alternative dans la masse, brandir la contrainte de l’objectivité pour obliger les journalistes à présenter sa version, travailler la Novlangue et puis favoriser une société d’experts médiatiques qui n’ont d’experts que le nom et la crédibilité auto-générée, qui vont, par complicité ou bien par inconscience, répéter et renforcer le discours. Deuxième question : comment échapper à cette dérive pour un journaliste sincère, honnête intellectuellement, sans tomber justement dans le piège de l’éditocratie ? Difficile… Tous les jours, nous essayons, mais, dans le sens même que Bourdieu donnait à son expression originelle, la Bisounoursie est vraiment un sport de combat, qui sert à se défendre contre l’émotionnel instrumentalisé et cela n’est pas simple. Trop souvent, par facilité ou bien par inconscience, même les meilleurs, convoqués à bêler avec la masse finissent, même quand ils se veulent anti-langue de bois par se faire avoir. A ce sujet, je vous ramène à un autre livre fondateur, Les éditocrates : Ou Comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi, de Sébastien Fontenelle. Mais, me direz-vous, je ne parle que de la France, ce matin. Mhum… Vraiment ? Croyez-vous pourtant que ce que je dis ne s’applique que là-bas ? Mouis, allez, je vous laisse faire votre sélection à vous des pires couvertures médiatiques sur les homos, les noirs et les autres, les pires sorties d’hommes politiques sur les étrangers, les femmes et le reste. Je suis sûre que chacun aura son top 50 sans trop de difficultés, hélas, tant la transposition de la situation est instantanée, ici ou ailleurs. La crise est mondiale, comme les autres, les économiques, les sociétales, les de valeur. Elle procède de la même chose et elle n’a pas de solution simple. Alors, avec Edgar Morin, penchons pour une tentative de pensée complexe et voyons comment on s’en sortira, avec un peu moins d’émotions, un peu plus de soupçons, pour comprendre le monde.


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