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L’échec du modèle européen : qu’est ce qui a fait dérailler le rêve européen ?


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Et ce matin, j’ai envie de poser franchement la question : et si l’Europe était morte ? Et oui, introduire le sujet avec une chanson intitulé the final countdown par un groupe qui s’appelait Europe, ça m’amuse, je suis comme ça, que voulez-vous.

Mais plus sérieusement, si le FN passe en France, non seulement dans une région, deux ou plus, mais aussi, – pourquoi pas ? – à la présidentielle, ce ne sera pas bon pour l’Europe. Et le fait même que cela puisse être une hypothèse ne fait qu’enfoncer le clou : l’Europe a échoué. Les partis anti-européens sont puissants, dirigent des pays ou sont en passe de le faire, baste ! Ils sont même représentés au parlement européen, et pas qu’un peu, en prime ! On a vu l’impuissance de l’Europe à juguler la crise des migrants, à coordonner sa réponse aux attentats, à régler le problème économique et social de la Grèce, baste ! Même à éviter des tentations indépendantistes en Ecosse et surtout, en Catalogne qui continue de vouloir faire sécession anticonstitutionnellement. Vous me direz, ce ne sont que deux pays. Nenni mes bons ! L’Italie a, en toute discrétion, accordé une autonomie très importante à ses régions les plus riches et elles râlent encore d’avoir à se traîner le boulet du sud et je ne vous parle même plus des belges qui ont désormais de quoi remplir des encyclopédies entières de blagues sur leur incapacité à monter un gouvernement en moins de six mois à cause des blocages entre Flamants et Wallons.

Ah oui mais là, il ne s’agit pas simplement d’enfants indisciplinés, non, non, non. C’est à une crise structurelle de l’Europe qu’on est confronté et qu’il va falloir analyser point par point. Puisque j’ai commencé par le FN et que j’ai évoqué le danger du régionalisme, parlons d’un premier point, essentiel : la crise européenne, c’est avant tout une crise de l’état-nation. Si tant de partis extrémistes anti-européens voient le jour, de droite comme de gauche, c’est que de plus en plus, les citoyens européens se rendent compte que l’Europe a affaibli l’état-nation qui a été la base de la puissance européenne durant les deux siècles derniers au moins. Concrètement, le cas de la Grèce l’a démontré en plein : vous pouvez voter pour qui vous voulez, tant que vous restez dans le cadre de l’Europe, vous pourriez aussi bien crier dans le désert, l’effet sera le même, vous ne dérangerez personne suffisamment longtemps pour qu’on vous prenne en compte ou qu’on infléchisse la politique européenne. C’est un problème d’autant plus grave que dans le, et je cite Michel Rocard là-dessus « système d’institutions paralytiques » européen, les citoyens n’y voient goutte et in fine ne maîtrisent rien. Des institutions qui, et là je cite encore Rocard, « tuent le leadership » des nations comme des hommes, donc rien ne se dégage de cette grande bouillasse d’impuissance. À part l’Allemagne, vous me direz, mais même elle est bien incapable d’imposer sa vision des migrants aux autres, alors…

Bref, les citoyens ne sont donc pas contents et on les comprend. Dès lors, ils se réfugient dans un passé mythifié et plein d’illusions rassurantes pour eux, inquiétantes pour tous les autres. En France, c’est le nationalisme et le bleu Marine, donc. En Espagne, en Italie, en Belgique, en Grande-Bretagne, où le nationalisme est moins fort, c’est l’indépendance des régions et la dislocation de l’état central. En Hongrie, c’est l’identité raciale qui refait surface avec Jobbik, bref. Ce ne sont pas spectres les plus sympathiques qu’a réveillé l’impuissance européenne et c’est rien de le dire.

Oui, alors par définition, ce n’est clairement pas l’ambiance. Mais puisqu’on parle de tous les gars du monde, parlons donc des relations qu’entretient l’Europe avec le reste du monde, tiens. Force est de constater que l’Europe n’a pas réactualisé ses rapports avec le reste du monde et encore moins en tant qu’entité. Résultat, comme le dit si bien le Laboratoire Européen d’analyse politique dans son dernier bulletin, « la relation UE-Inde en est restée au stade de l’ex-colonisateur à l’ex-colonisé, la relation UE-Russie qui oscille entre une vision paneuropéenne de la Russie (la Russie c’est l’Europe) et des flashbacks de guerre froide (la Russie, c’est le marxisme appliqué) ; la relation UE-Chine est la plus perplexe, le grand mystère asiatique, si éloigné de nos modèles que l’Europe est comme une poule devant un couteau quand il s’agit de développer des relations avec la Chine ; la relation UE-Afrique du Sud, si tant est qu’elle existe, passe inévitablement par les Pays-Bas et l’Angleterre, etc. L’UE a continué de ne regarder le reste du monde que par le biais de ce qu’elle a tenté de façonner là-bas, au lieu de construire des relations avec des entités émergentes comprises comme des acteurs indépendants. Du coup, elle est restée liée structurellement aux parties les plus archaïques de ces pays et régions, précisément celles qui disparaissent actuellement. » Quant à la relation de l’UE avec les États-Unis, qui nous plombe actuellement sur la question ukrainienne notamment, je cite toujours le LEAP « la relation transatlantique s’est fondée sur le fait que les États-Unis étaient à l’origine une extension européenne, puis une extension européenne qui avait pris le leadership suite au suicide européen des deux guerres mondiales. Mais [force est de constater une] forte différentiation entre l’Europe et les États-Unis. Au final, peine de mort, port d’armes, démocratie questionnable, politique étrangère… la liste est longue de tous les thèmes qui se mettent à visiblement séparer l’Europe des États-Unis. Il aurait alors été temps pour chacun de créer les conditions de son indépendance l’un vis-à-vis de l’autre ; non pas pour s’ignorer ou se faire la guerre, mais pour reconstruire un nouveau cadre de coopération, moins fusionnel. » Au résultat, au lieu d’être le cœur du monde, l’Europe devient de plus en plus un ensemble à la marge, incapable d’être proactif mais secoué de plus en plus fort par toutes les crises, qu’elles soient internes ou externes, sans être capable de faire beaucoup plus qu’y réagir au coup par coup, et en tout cas, sans se repositionner dans un monde multipolaire où tout se renégocie, pourtant.

Oui, parlons-en de l’armée. On n’a pas d’armée européenne, ni même de politique militaire européenne, comme Hollande, faisant appel à l’Europe via, c’est ballot, les dispositions régissant l’OTAN, l’a découvert récemment. Concrètement, même la CEDEAO est mieux intégrée que l’UE, c’est tout de même terrible à constater, non ? Bref, pour Michel Rocard, qui intervenait il y a un petit mois dans une table ronde sur l’Europe, « l’Europe, c’est fini, on a raté le coche. » Et de continuer : « le monde se refait dans la force, mais l’Europe a baissé les bras. Les dépenses de défense sont au plus bas depuis cent cinquante ans, les citoyens de l’Union européenne sont joyeux de ne plus s’occuper des problèmes du monde ». Et, niveau économique, ce n’est pas mieux. L’ancien commissaire européen Pascal Lamy déclarait ainsi en octobre « Il y a des menaces sur la position compétitive de l’Union, nous avons perdu des places, nous ne sommes pas assez compétitifs sur l’économie numérique, mais nous continuons de nous battre sur le plombier polonais. » Bref, finie, finie, l’Europe ? Aujourd’hui, très rares sont ceux qui y croient encore et encore, pas sous cette forme. Et je finis donc sur l’ancien maire de Rome, Walter Veltroni, pour qui, je cite « l’Europe a fait des choses extraordinaires dans les années 1980 et 1990, l’abolition des frontières intérieures, la monnaie unique, etc., et puis on s’est arrêté. Mais nous sommes à mi-parcours, et on ne peut pas en rester là. L’Europe doit choisir : soit le repli identitaire, soit les États-Unis d’Europe. Personnellement, je suis pour terminer la construction » européenne. Moi, je veux bien, mais comment ?


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