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Silence

Le Silence des Bisounours


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Silence

La loi nous interdit de remettre en cause une décision de justice. Mais on peut la commenter. Alors comme je respecte la loi, je ne dirais pas mon sentiment quant au fait que les deux homosexuels agressés chez eux à Béni Mellal dont on entend beaucoup parler depuis que la presse s’est emparée de l’affaire à la suite des réseaux sociaux, vous savez, les deux que l’on a filmé, nus, roués de coups et insultés chez eux sont poursuivis par la justice. L’un, nous rapporte-t-on dans la presse, aurait écopé de 4 mois de prison ferme et 500 dirhams d’amende pour acte sexuel contre-nature avec récidive et ivresse, l’autre vient d’être rattrapé par la justice, après qu’il ait été en fuite et on ne sait pas encore ce qu’il en adviendra. Je ne dirais pas mon sentiment quand j’ai appris que de leur côté, deux de leurs agresseurs ont été poursuivis pour les charges suivantes : entrée par effraction, violence ayant entraîné des blessures avec usage d’une arme, réalisation et diffusion d’une vidéo contraire aux mœurs et ont écopé, pour tout cela, de deux mois de prison avec sursis.

Et dans le son du silence, alors que je suis dans la presse, le déroulement de l’affaire, je pense au Maroc, ce pays que j’aime tant, où je me suis installée par choix. Je pense au fait que je savais que les mœurs y étaient différentes. Je savais la condamnation des relations sexuelles hors mariage, de l’homosexualité et du reste. Je le savais et pourtant, cela ne me dérangeait pas vraiment. Non pas parce que je ne suis pas homosexuelle mais parce que, dans la manière dont ce n’était si visiblement pas appliquée, je voyais une forme de subtilité malicieuse dont nous parlions encore hier entre collègues : douze témoins irréprochables devant être présents pour constater l’acte délictueux, qu’il s’agisse d’adultère, de relations hors mariage ou dites contre-nature, avec comme critère le fait que l’on ne puisse pas passer un fil entre les amants coupables, cela ne se produit jamais. Alors, pour cela comme pour beaucoup de choses, on s’arrange. Ne regarde pas les péchés de ton frère, ah sahbi, si tu ne veux pas que Dieu regarde les tiens. Et le monde continue de tourner, imparfait, mais les hommes sont frères avant que d’être juges et cela me va, moi, Dieu me pardonne.

Évidemment, dans la logique cartésienne, les bébés endormis durant des années qui permettent de dire que la veuve n’a pas fauté, cela n’est pas commun, mais enfin, le sentiment, lui, est très humain :  khouya aefack, ne juge pas ce que tu ne sais pas de solitude et d’amour.

Oui, ce pays-là, ce Maroc-là peuplé de djins rétifs à mon esprit analytique et de contradictions sur lesquelles tout le monde sourit, d’un air un peu gêné, un peu complice, ce Maroc-là, comment ne pas l’aimer ? Il comprend, ce beau Maroc, ce que c’est d’être humain. Ce n’est pas dans la brutalité du réel écorché que l’homme est grand, mais dans les voiles du symbolique où chacun a sa place, fut-elle à la marge. Ce Maroc-là, dans l’esprit de tous, il frère encore, dans ses mots, dans sa chair. Et pourtant, il souffre. Il souffre en silence d’une division de plus en plus grande qui nous laisse tous assourdis. Des enfants meurent en marge de matchs de foot, des femmes sont filmées dans la rue rouées de coups par leur mari, l’homme commun manque de sens commun et s’arroge juge, bourreau d’affaires qui ne faisaient de mal à personne. Et le silence en nous grandit, à mesure que nous nous glaçons dans la solitude de la vertu ou du retrait aux marges.

Dites-moi, est-ce que je me suis trompée ? Suis-je moi-même si corrompue, si extérieure à ce beau Maroc-là que je ne le comprenne pas ? Dites-moi, est-ce que je l’ai rêvé ce pays-là, si imparfait, si plein de contradictions mais qui accueille avec bienveillance et un peu trop de sucre ? Est-ce que toute cette haine envers les subsahariens, ce mépris envers les femmes, cette rigueur moralisatrice qui justifie l’insulte, est-ce que cela a toujours été là, non pas en sourdine comme une impolitesse mais dominant en trompettes et fanfares ? Comment est-ce qu’on s’est laissé gagner par le cancer de la désunion ? Dites-moi mes frères, comment a-t-on laissé ramper la haine ? Comment guérit-on d’une violence qui se drape de pureté ? Comment la loi même peut-elle juguler ce qu’elle ne peut comprendre ? Alors que je pose ces questions, vous ne me voyez pas, mais je tends les bras, démunie et j’écoute…


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