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Le Maroc est une machine à écrire


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Souvenons-nous… Il n’y a pas si longtemps déjà, lorsque nous étions une société dite traditionnelle… Celle des dispositions parfaites. Il y avait Dieu et le Diable, le Ciel et la Terre, les Animaux et les Hommes, l’Homme et la Femme, le Père et la Mère, etc…

Des rôles, très bien définis, parce qu’ils étaient, ici-bas, la métaphore d’un ordre cosmique. Soleil, astre solitaire, et planètes gravitant autour. Trônes et dominations, microcosme et macrocosme, dedans et dehors, visible et invisible. Un espace et un temps d’une nature autre…

Un monde où l’on ne sortait pas de son rang, où l’on ne quittait pas sa place. Il y avait L’Imam, le Fou, la Prostituée, le Maître, l’Esclave, le Sorcier – société de ces Hommes peut-être différents, aux identités pouvant se trouver à mille lieux les unes des autres, mais qui se trouvaient toutes liées par des Hiérarchies invincibles. Des premiers et des derniers cercles. Des débuts et des fins de cycles. Des destinations et des prédestinations. L’Ordre, précisément, ordonnait et contenait tout. Sauf si l’adversité venait à s’en mêler… Et là, on convoquait le Destin, la divine volonté, seule en droit de tout déplacer, à sa guise ce qui entérinait, aussi, l’idée de l’Ordre ! Il fallait alors s’agenouiller plus encore. Se déprendre du peu de prise que l’on pouvait avoir sur les évènements, et comprendre, plus encore, s’il le fallait, que les choses étaient ainsi faites.

Et que c’était bien ainsi qu’elles entendaient demeurer, – société traditionnelle, – tableau de zellige, où chaque pièce sait où elle doit aller… Qu’importe sa taille, sa forme et son coloris…

Mais voilà, – il suffit que l’Histoire se prenne pour le Destin, – et que le Colon se voit, lui, jouant le rôle de l’Esprit du Monde, et voici que cet ordre, d’un coup, s’en trouve changé…

Des idées et des mots entrent par effraction, – déplacent, transforment l’ordre, – sans pour autant le faire basculer, mais, d’une certaine manière, l’encerclent d’expériences autres, de vérités nouvelles et triomphantes, – crises, croisements, mutations… une société qui vit une telle expérience est semblable à une table de billard où toutes les boules ont été dispersées par un coup d’envoi trop violent – éclatement des dispositions d’origine… Mélanges, influences, – et voilà que notre société qui fût traditionnelle, voit les rôles et les fonctions muter, se multiplier, – émergence de figures d’opposition. Et, naissance du clivage Tradition-Modernité ! On connaît la fortune de ce couple… Et même s’il a son avenir derrière lui, on sait bien comment s’organisent ses noces conceptuelles, que seuls les retardés, les démagogues et les paresseux se voient inviter à célébrer encore !

Oui, dans un pays, une société comme la nôtre, cette vielle antienne moderno-traditionnelle, ce vieux conte pour enfants postcoloniaux, ce vieux manuel pour psychologues réactionnaires n’a plus lieu d’être !

Et aujourd’hui, le problème, tant en politique, qu’en sciences humaines et sociales, n’est plus de savoir qui est moderne de qui ne l’est pas, qui reste traditionnelle et qui ne souhaite pas l’être… Lorsque de nouvelles figures, depuis longtemps apparues, méritent qu’on les prenne pour ce qu’elles sont, des expériences en cours, des croisements inattendus, des alliages psycho-socio-culturels, qui ne sont pas encore sorti de la forge du présent.

Et c’est tout l’intérêt de cet objet que l’on pourrait appeler le Nouvel imaginaire marocain, que d’être encore en formation, – cet énorme massif exige que l’on conçoive, pour y pénétrer, de nouveaux outils, des moyens conceptuels autres, et tellement mieux appropriés… Que le scalpel ou le marteau.

Car il y a de tout, dans ce Nous dont nous n’avons pas encore commencé de faire le tour. Et ce tour, il n’est pas écrit qu’il doive seulement ressembler à la visite d’une équipe de jeunes internes suivant pas à pas le médecin chef qui foudroie du regard un coupable malade… Sortir des clivages psychiatrisant ! Sortir notre imaginaire du tribunal sociologique avec ces ennuyeux verdicts !

Cette sortie, il est vrai, nous propose un exercice plus difficile, plus complexe, où la tension nerveuse est présente partout. Marchons sur la nervure comme des funambules. Et puis, s’il est dit que nous sommes, au fond, un peu borderline, et bien nous saurons au moins à quoi nous sommes destinés… Et saurons bien mieux nous prémunir !

Car nous sommes, au fond, capables et désireux de tout mêler… La science et le talisman, le goût de la vérité qui éclate au grand jour autant que celui des dissimulations nocturnes mais non moins nécessaires, le clan et le club, la langue et le dialecte, l’autonomie et la possession. Tout et son contraire ? Non, la chose et son contraire formant le Tout dont nous avons la passion… Et les raisons que cette passion connaît !

Et s’il fallait, d’abord, l’assumer ? Pour commencer d’écrire le traité d’un nouvel imaginaire plus vaste ! S’il fallait accepter de nous reconnaître à la fois sages et fou, sains et névrosés, lucides et ivres, pour arriver à nous connaître autrement mieux…

Oui, le Maroc est une machine à écrire.

Mais c’est un roman total qu’il écrit.


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