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L’académisme est un naufrage


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Le 17 octobre, l’Académie française, nous assurant ne pas se voir en gardienne de la norme, a poussé un cri pour nous alarmer : « devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel ». Rien que ça. S’en suit un curieux paragraphe qui s’étend sur un risque de perte de… compétitivité. Staline eut été capitaliste qu’il aurait pu répondre : « La langue française, combien de chiffre d’affaires ? ».

L’écriture inclusive n’est pas forcément très pratique, sans doute. Surtout à l’oral, comme à la radio. Doit-on prononcer « chers-auditeurs-point-du-milieu-trices » ? Il est à craindre que votre modeste chroniqueur en reste à « Chères auditrices et auditeurs ». Ce qui n’est jamais qu’une forme de politesse de notre époque, et un peu de politesse ne nuit jamais. La question suivante sera de savoir comment, à l’écrit, va s’accorder le « cher ».

Ce n’est que très tardivement, autour des XVIIe et XVIIIe siècles que de doctes Français ont prétendu que le genre grammatical masculin était le genre neutre. Et pourquoi était-il neutre ? Parce que, en 1675, selon l’abbé Bouhours : « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ». Plus franc, en 1767, le grammairien Nicolas Beauzée estime que : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (sic).

Depuis, Le Bon Usage de Maurice Grevisse entérine. Ces affirmations sont pourtant d’autant plus contestables qu’auparavant, à l’instar du grec et du latin, l’ancien français pratiquait l’accord de proximité. On ne disait pas qu’un homme et une femme sont « beaux ». Mais plutôt que « le soleil et la lune estoient belles ». Accord qui reste souvent instinctif dans le langage parlé. Voilà donc un point « inclusif » qui semble fort acceptable. Pourquoi ne pas revenir à l’usage de l’Ancien régime ? Fi donc du sexisme d’un âge classique connu pour ses maisons d’enfermement — bon, depuis Michel Foucault, en tout cas.

Féminiser les métiers et les grades est une autre recommandation de « l’écriture inclusive » — ainsi que de différents ministères de beaucoup d’États francophones. Cela ne devrait pas faire bondir le vert équipage du radeau de la Méduse amarré au quai Conti, s’il se souciait un peu d’étymologie. Par exemple, en latin, entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C., il est vrai qu’ « auctor », l’ancêtre d’ « auteur », était épicène, c’est à dire masculin et féminin, notamment chez Pline, Ovide et Virgile. Ils évoquaient des déesses auteurs du courage de leurs héros antiques.

Ce qui est resté jusque dans le dictionnaire Gaffiot d’aujourd’hui. Mais cela cache en réalité toute une histoire. Car la même langue possédait auctrix, un vrai féminin du mot. Et tout autant dans le Gaffiot, d’ailleurs. À Rome, les premiers chrétiens se piquèrent de le remettre en vogue, et de présenter la Vierge Marie, notre Maryam, comme l’auctrix des vertus des pieux. On trouvera donc jusque chez François de Sales, en 1600, l’usage du mot autrice, se plaçant à la suite de rien moins qu’Augustin d’Hippone ou de Tertullien. Mais, dès le IVe siècle, de distingués latinistes sont allés contre, faisant valoir qu’il valait mieux suivre les grands auteurs « païens » et favoriser l’usage épicène d’ « auctor ».

Ainsi, la reconnaissance de l’autorité féminine par les premiers chrétiens allait peu à peu sombrer dans l’oubli, malgré une résurgence, aux Xe et XIIe, notamment chez Hildegaard de Bingen ou à… Séville. À partir du XVIIe siècle, avec la « naissance de l’écrivain » et la rédaction des premières grammaires de français moderne, le débat fait à nouveau rage.

Nous avons vu que, malgré les dames des salons — aujourd’hui tant vantées par un académicien controversé —, ce sera « la supériorité du mâle sur la femelle » (re-sic) qui l’emportera dans la langue des Lumières. Et la Révolution sera on ne peut plus claire sur la façon dont elle entendait sa déclaration les Droits de l’Homme et du Citoyen, en décapitant Olympe de Gouges, qui eut la curieuse idée de demander à y adjoindre ceux des femmes. Aussi, là encore, nos « inclusifs » n’ont peut-être pas tort de vouloir désormais parler de « droits humains ».

S’il est loin d’être sûr que la langue détermine — à elle seule — une pratique sociale, en revanche elle peut nous dire beaucoup de la société qui la parle. Plus de 2000 ans de débats, toujours pas tranchés, sur le féminin du mot « auteur », ce n’est tout de même pas rien !

En 1985, la Britannique Kate Bush fut l’autrice d’un tube de pop new wave un peu trop vite rangé dans la catégorie des bluettes. Elle y chantait que, si elle le pouvait, elle signerait un pacte avec Dieu, pour qu’hommes et femmes puissent échanger leurs places et leurs expériences. Running Up That Hill.


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