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Les fruits amers du Westphalisme


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L’État-nation, en soi, n’est pas chose éternelle. C’est même une forme d’organisation politique très tardive. On en date les fondements juridiques en 1648, lors de la signature des traités dits de Westphalie, en Allemagne. L’Europe sortait d’une guerre de 30 ans, dont le prétexte fut un incident entre catholiques et protestants. Les camps belligérants s’étaient très vite recomposés en alliances hétéroclites de catholiques et de protestants, la ligne de clivage religieux ayant presque aussitôt disparu sous d’autres intérêts. Elle fut néanmoins la raison avancée pour édicter une nouvelle règle que défendaient certains, comme la diplomatie de Louis XIV, très en pointe sur le sujet. Il a été décidé que chaque pays était souverain — c’est-à-dire fermé à l’ingérence d’une quelconque solidarité religieuse, ou impériale. Ce qui, auparavant, n’allait pas de soi pour les États relevant du Saint-Empire. C’est-à-dire presque tous, sauf la France, qui ne pouvait que se réjouir d’affaiblir ainsi son puissant voisin.

L’Empire était bien la cible de ce traité, dont l’aboutissement historique n’apparut qu’en 1918, avec le démantèlement de ce qui en restait à Vienne. L’ordre westphalien, qui nous régit encore, a bien été créé pour détruire le monde traditionnel préexistant. Entre temps, Napoléon était passé par là, qui avait bien compris combien et comment l’État-nation est un instrument de puissance aux mains de quelques-uns.

La chute des Habsbourg est un tournant, donc. Elle précède d’ailleurs de peu celle du califat ottoman. On peut tout à fait convenir qu’après quelques siècles à subir différents assauts, ces deux institutions ne fonctionnaient plus très bien, pour dire le moins, et qu’il fallait bien faire quelque chose. Mais on peut aussi remarquer que l’épouvantable massacre des Arméniens fut organisé par des nationalistes turcs dont la devise était « Liberté, Égalité, Fraternité ». Enfin, il n’est pas anodin que deux ans après la disparition du calife, tandis que l’Europe se partageait le Proche Orient à coup de baïonnettes et de bombardements, John Philby, espion britannique en Arabie, aide et soutient la prise de pouvoir par une maison Saoud alliée aux wahhabites — que le calife avait combattu au XIXe siècle.

Il y a ici une articulation trop souvent manquée. Si le nationalisme, à sa création, a pour but premier de détruire l’ordre traditionnel, ce n’est curieusement pas lui qui en recueille les fruits, mais ce qui prend maintenant la forme d’un puritanisme religieux, et qui ne peut naître que sur les cendres des organisations traditionnelles. On le voit à petite échelle au Mali, où des indépendantistes laïcs ont ouvert la porte du Nord aux djihadistes. La même lecture, sur un temps plus long, s’applique au projet sioniste, qui, ouvertement anti-religieux au temps de Theodore Herzl, s’est réinventé « messianiste » en 1967, lorsque le « mur de fer » de son armée est entré dans Jérusalem. Le sécularisme européen est lui-même de plus en plus mis à mal, on le mesure à la place insensée que prend la « question musulmane » sur ses plateaux télé, que l’on y parle de sécurité ou de chiffons, et qui masque mal la résurgence d’un racisme « scientifique » de moins en moins refoulé, puisque coextensif au nationalisme. Aux USA, où fut forgé le mot fondamentalisme, les choses sont plus claires : des messianistes protestants sont à la manœuvre et pèsent de tout leur poids dans les processus électoraux, appuyant autant le sionisme qu’ils arrosent de dollars le wahhabisme.

Et tandis qu’un nouveau national-religieux lance des avions ou des camions sur les foules, à New York, Nice ou Berlin, un souverainisme exacerbé, non moins religieux, en fait, tire à vue dans les mosquées, à Hébron comme à Québec. Ce sont les deux mâchoires d’une même tenaille.

Pour traduire son épouvante face au phénomène récurant des mass shootings, David Bowie avait composé en 2013 un petit bijou pop intitulé Valentine’s Day.

https://youtu.be/S4R8HTIgHUU


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