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De la quintessence de l’oralité


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Que les gens ne lisent plus, ou peu, voilà un drame devant lequel il serait épouvantable d’abdiquer. Mais que les gens n’écoutent plus, n’entendent plus, voilà de quoi mettre notre humanité en péril. Car depuis que l’Homme a accédé au signe et à la magie du symbole, la tradition écrite a toujours transhumé de paire avec une tradition orale, qui en représentait une sorte de quintessence, enveloppant la lettre enclavée, et immuable, d’une auréole de mystères, mystères dont la clé, se situe au bout d’une perpétuelle traversée initiatique entre un maître, dépositaire d’un savoir atavique et immémorial, et un disciple avide de vérité, dans le prolongement d’une généalogie de l’esprit.

L’oralité perpétue et engendre un savoir vivant et organique, dans une sorte de vitalisme sapiential, qui fait que chez les « Druides » par exemple, l’écriture était réservée aux morts, car ces derniers ne relevaient plus de ce monde mouvant, où, comme nous l’enseigne Héraclite, « rien n’est permanent, sauf le changement ». Dans la tradition musulmane, on ne demandait pas en premier « quels livres avez-vous lu ?», mais qui sont vos « Sheikh » ? Puisque le Coran distingue le livre, « al Kitab », de la sagesse, « Al hikma » qui ne se lit pas mais qui se donne, se transmet, et que le Divin présente comme ontologiquement complémentaire avec le livre, en les invoquant dans un même verset.

Aristote bien qu’ayant commis une multitude de livres, philosophait et enseignait en marchant, insufflant ainsi de la vie à des mots pris dans les mouvements errants de ses pas, tandis que Socrate, dont la maïeutique n’est pensable qu’à travers le lien immanent de l’oralité, transmutait l’Agora bruyante et probablement puante d’Athènes, en un sanctuaire d’éveil, tandis que des présocratiques, n’ont survécu que des fragments.

Avec la proto-modernité post-socratique, la pensée philosophique commence à se construire de plus en plus à partir des livres, dans un irrémédiable mouvement d’éloignement de la magie d’un réel, qu’on ne peut désormais appréhender qu’à travers les prismes dénaturants d’un tel ou d’un tel. Depuis, la parole s’autonomise, se momifie dans une dynamique ininterrompue d’éloignement du réel, d’éloignement de « Soi ».

Bernard de Clairvaux, fidèle apôtre de la « spiritualité incarnée » devant l’éternel, nous a légué un aphorisme d’une simplicité qui devrait nous interpeller, et qui mériterait d’être gravé à l’entrée de chaque école et de chaque lieu de culte, en disant : « L’on trouve bien davantage dans les forêts que dans les livres ». L’heureuse fortune des audio-books et l’engouement des jeunes pour les nouvelles modalités de narration, feront que peut-être, l’espoir demeurera toujours permis, malgré la « modernité », ce nouveau déluge planétaire, dont on ne survivra peut-être qu’en chevauchant les vagues toujours changeantes de la tradition orale.

Car le gardien de la tradition, n’est pas celui qui est contre la modernité, car être contre, voilà l’esprit même de la modernité, mais celui qui se tient stoïque, en contemplant une modernité, dévorée par ses propres avatars. « Si quelqu’un t’a offensé », disait le vieil enfant chinois, « ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière, et bientôt, tu verras son cadavre passer ».


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