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Dans le bus de la modernité


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La vidéo publiée cet été sur Facebook, par l’un des voyous, d’une insoutenable agression sexuelle, commise dans un autobus de Casablanca, sur une handicapée, a suscité des réactions. Beaucoup plus, et c’est heureux, que dans le bus lui-même, où personne n’a osé intervenir. Le 28 août, le site Médias24 revient sur une enquête de l’impartial Haut commissariat au plan, publiée en 2009. Parmi des chiffres effarants, retenons qu’en milieu urbain, 5,7 millions de femmes, entre 18 et 64 ans, ont subi au moins une fois un acte de violence. Oui, 40 % de nos citadines, pauvres ou riches.

Interrogée le même jour par France Inter pour la promotion de son ouvrage d’enquête sur la sexualité au Maroc — que l’on attend de lire —, Leïla Slimani souligne fort à propos que la vidéo a aussi choqué les Marocains en ce qu’elle montrait « la disparition du hanane », de la tendresse, du soin de l’autre. Le groupe est à la fois contraignant et protecteur, insiste-t-elle, mais, en effet, si la protection disparaît, il ne reste plus que la contrainte.

Le 5 septembre, sur notre antenne, invitée des Matins Luxe, Aïcha Echanna fait la même remarque. « Où est partie la dignité marocaine ? » s’exclame-t-elle, « Où est parti le sens de la protection des Marocains ? » Elle dénonce le fait que l’islam ne soit désormais plus qu’un instrument aux mains des « politico-politiciens ».

À Paris, le sociologue Abdessamad Dialmy a publié, dans le quotidien Libération du 24 août, une tribune où, comme Leïla Slimani et Aïcha Echanna, il demande la mise en place d’une éducation sexuelle — qui a déjà existé au Maroc, rappelait cette dernière. De plus, le sociologue soutient que le pays serait à un stade de « pré-citoyenneté ». Il pense, citons, qu’

« Un quasi-individu est un pré-citoyen qui ne peut pas accéder à la morale civile, celle basée sur la conscience : faire le bien pour le bien, juste pour ne pas avoir du remords. Sans rechercher de récompense et sans vouloir éviter de châtiment. La non-conquête de la morale civile est aggravée par la perte de la morale islamique. Éviter de faire le mal pour mériter le paradis. Éviter de harceler et de violer les femmes pour éviter l’enfer. L’islam, devenu aujourd’hui islamisme, […] n’est désormais que levier de la mobilisation populaire ou mode de gouvernance politique… »

Sur ce point, il rejoint à nouveau la présidente de Solidarité féminine.

Toutefois, et le sociologue en convient sur son blog, le phénomène n’est pas propre à la société marocaine. Ni même maghrébine. Hasard du calendrier, Télérama publiait le 28 août un long papier sur les cas de harcèlement, d’agressions et de viols dans les festivals à travers l’Europe. Vieilles Charrues, en Bretagne ; Rock en Seine, près de Paris ; Hellfest, en Loire-Atlantique ; Solidays, à Longchamp, sont cités. Là-bas comme ici, beaucoup de femmes ne portent pas plainte, regrettent les organisateurs qui commencent à prendre conscience du problème.

Loin de la place Tahrir, le festival de Glastonbury, en Angleterre, expérimente depuis deux ans une zone exclusivement féminine. Ce qui ne va pas exactement dans le sens du combat pour la mixité défendu par Leïla Slimani. Bråvalla, en Suède, après quatre plaintes pour viol et vingt-trois pour agression sexuelle déposées cette année, a purement et simplement annulé l’édition 2018. Mais cela ne se limite pas aux manifestations culturelles. Partout, les transports en commun sont concernés, comme à Casa. Et supprimer les bus d’une agglomération de 8 millions d’habitants ne nous avancerait en rien.

La misère sexuelle, si telle est bien l’explication, semble donc tout aussi aiguë dans des pays pour lesquels personne ne parle de « pré-citoyenneté », ni de « quasi-individu ». La « morale civile », certes indispensable, ne manque pas, là-bas, dit-on. Elle ne paraît pourtant pas suffire à « faire le bien pour le bien », à former des sujets autonomes, comme dit la philosophie, des sujets sachant trouver en eux-mêmes leur propre loi.

En revanche, à Bassora, au XIIe siècle, Lalla Rabia al Adawiyya est restée célèbre notamment pour être un jour sortie de chez elle avec une torche et un seau d’eau. Elle expliquait vouloir noyer l’enfer et brûler le paradis pour qu’enfin, les musulmans n’adorent Dieu que pour Lui Seul — ni par peur, ni par envie. Cela, le taçawuf est très clair à ce sujet, ne s’apprend pas dans les livres — très utiles par ailleurs —, mais uniquement par l’expérience d’un enseignement vivant du soufisme, qui passe par la pratique des rites et du compagnonnage, lieu premier du domptage des passions de l’âme. Cette culture existe encore un peu — trop peu ! — au Maroc. Que Dieu nous aide à la préserver.

En 2014, le troisième album de Lana Del Rey — enregistré avec la complicité du guitariste des Black Keys — entre dans les charts et provoque un petit scandale. Concept-album très écrit, salué par la critique, Ultraviolence raconte l’histoire d’une femme battue. Une part du public anglo-saxon, comme d’autres chez nous, a préféré s’attaquer à l’artiste plutôt qu’au problème. Certains ne pouvaient envisager qu’une aussi jolie femme puisse produire un travail littéraire corrosif en chantant Pretty When You Cry.


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