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Les Bisounours ne se cachent plus pour pleurer


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Depuis l’affaire Weinstein, on assiste à un curieux phénomène : le grand déballage. #MeToo, #BalanceTonPorc, faites votre choix, l’idée est partout la même, raconter. Une grande catharsis généralisée, les réseaux sociaux en théâtre mondial, les pseudos même plus anonymes en guise de masques. Vous me direz, cela fait un certain temps, déjà que tout le monde raconte sa vie, façon journal extime un peu partout.

Le me, myself & I triomphant, nihilisme de l’individualisme « décomplexé » qui se pense artiste quand il photographie son petit-dej’, je ne serais certes pas la seule – et certainement pas la première, à le dénoncer. Sauf qu’il ne s’agit pas tout à fait de cela car dénoncer une agression sexuelle, s’identifier comme victime de viol n’est pas comparable à l’idée de montrer son parcours minceur ou partager ses recettes de maquillage maison.

En premier lieu, il s’agit d’un renversement de pouvoir : des femmes sur les hommes qui les agressent – ce que beaucoup d’hommes comprennent très bien et rejettent avec autant d’énergie que d’inefficacité, d’ailleurs. Renversement de pouvoir des victimes sur les bourreaux, aussi, avec un courant de solidarité mondial qui, tout d’un coup, fait de la masse un refuge efficace contre l’impuissance. Utopie en marche ? Peut-être…

… Mais c’est pas sûr non plus. Certes, et on le sentait venir, là aussi, depuis un certain temps, la modernité favorisait la mise en place de mouvements de solidarité de type tribal, se faisant et se défaisant au gré des causes qui rassemblent des gens très différents, avant que chacun ne reparte chacun chez soi, sans plus se reconnaître. Mais les choses évoluant très vite, nous sommes désormais arrivés à une forme de paroxysme où la solidarité se fait sur le sentiment justifié du Bisounours bafoué.

C’est de la colère, de la révolte qui s’exprime. Pas cette espèce de mélange maladroit et profondément délétère qu’est l’identité, mais l’injustice, la dénonciation. Pas la délation, non. En tout cas, pas majoritairement. Mais une critique ouverte, assumée, de ce qui ne va pas, avec le sentiment justifié de son statut de victime. On sait d’où on parle quand on dénonce les agressions sexuelles. Non pas de droits nouvellement acquis, ou en cours d’acquisition, mais de son intégrité violée, qu’hier encore on ne jugeait pas suffisante pour parler.

Et ce qui est intéressant, c’est que le sentiment d’intégrité violée est de plus en plus fort, pour des choses qui, hier encore, étaient ou honteuses, ou indicibles ou même, parfois, même pas un problème. Qui aurait protesté contre des blagues sexistes il y a 30 ans ? Qui aurait accepté d’envisager qu’on puisse être agresseur quand on met une main aux fesses dans les années 70 ? Mais si la parole se libère sur des affaires de mœurs et c’est bien, elle se libère sur tous les sujets et cela a de quoi faire trembler bien des gouvernants.

Je n’ai jamais entendu de critiques aussi violentes contre les gouvernements – ou même la structure des états que cette dernière année 2017. Ici comme ailleurs. Et cette parole vindicative, justifiée par un sentiment global d’unité des victimes contre des bourreaux monstrés et démonstrés par le nombre est dangereuse, car possiblement déstabilisatrice, révolutionnaire, peut-être. Et pas arrêtable.

Manipulable, parfois, on a vu comment les réseaux sociaux sont désormais le lieu du soft power d’un état ou d’un autre. Mais ces effets de bord de la désinformation ne tiennent pas sur la durée, car les mouvements sont trop fluides, l’évolution trop rapide. Alors, il faudra désormais compter avec la parole de millions de gens s’estimant Bisounours désillusionnés. Et tout le monde, eux les premiers, est dépassé.


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