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Affaire des lots de Rabat

Affaire des lots de Rabat : le remplacement comme autre grille de lecture


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Le rôle du chef de gouvernement est de protéger la continuité de l’Etat dans ce qui est d’ordre légal. L’affaire des lots de Rabat n’a rien d’illégal, qu’elle soit immorale est une autre histoire mais dans laquelle sa responsabilité est pour le moins caractérisée, puisque le décret en question a été délibérément maintenu par sa propre personne. Par conséquent il doit défendre les hommes d’Etat tels que lui et qui sont dans la « légalité », la cour constitutionnelle n’invalidera jamais l’acquisition de biens d’état par décret gouvernemental en bonne et due forme, même si, semble t il, la publication au bulletin officiel n’a pas eu lieu. Au lieu, il les jette à la vindicte populaire par le silence qu’il exige à ses partisans d’observer dans cette affaire et leur prépare un discours sanglant lors de sa prochaine tournée dans les villes fin septembre prochain. Etre en colère contre les récentes dénonciations au sujet des 4×4 de Choubani et du maire Sadiki de Rabat est une chose, mais affaiblir l’Etat et ses Hommes comme il vient de le faire est flagrant, mais surtout intéressant à analyser sous d’autres angles que celui de la vengeance. Qu’a t il à gagner de cette affaire à deux mois des législatives? « Nous n’avons peut-être pas fait grand chose mais nous au moins, nous ne sommes pas des bandits. » C’est le seul message que le PJD pense comme audible auprès des marocains. Et ça marchera. Nos islamistes sont convaincus qu’une campagne projet vs projet, bilan vs bilan est à proscrire car peu productive à l’échelle mathématique électorale, les marocains dans leur grande majorité n’ont pas d’avis sur la gestion de la dette extérieure, la politique industrielle ou agricole, l’innovation scientifique et dans les entreprises… etc, alors on se rabat sur l’affaiblissement des autres et des adversaires politiques sur des sujets que tous les marocains peuvent commenter. Jusque là, et quand bien-même cela ne fait que flatter les bas instincts et faire diversion, ça reste courant, critiquable mais courant.

Mais est ce simplement une affaire de diversion. Pas sûr. Lorsque la technique vise à affaiblir non pas uniquement des adversaires politiques mais les institutions même du pays, l’affaire des lots de Rabat en est une parfaite illustration, cela prend une nouvelle dimension qui appelle à la réflexion. Il ne s’agit pas ici de dédouaner ou de masquer la rente qu’il faut combattre sans relâche, mais de se poser la question de savoir pourquoi le chef de gouvernement n’a pas annulé le décret de 1995, et surtout pourquoi il n’a pas l’intention de le faire dans les prochains jours ou semaines. Nous savons tous que la rente gangrène notre pays, pourquoi ne pas agir et faire un nouveau décret interdisant toute vente de biens de l’Etat sans passer par l’aval du parlement? Mais Prendre le risque d’affaiblir sciemment l’Etat et ses Hommes quand on est chef de gouvernement, c’est là une attitude qui invite à regarder de plus près ce qui se construit de structurel au sein des ambitions de la nouvelle scène politique nationale.

Car s’attaquer aux intermédiaires du pouvoir c’est vouloir prendre leur place et non les éradiquer, l’histoire des nations le confirme, et c’est la seule justification possible à un tel acte. Le PJD fantasme sur l’idée de remplacer les « khaddam addawla » et multiplie les tentatives. Benkirane n’est pas contre l’appellation, bien au contraire, si seulement son parti pouvait se l’approprier dans une perspective de néo-makhzen islamo- monarchiste, la seule ruée vers le pouvoir maintenant que l’autorité est acquise. Les intermédiaires du pouvoir existent dans tous les systèmes de représentation politique, dans toutes les nations, dans toutes les sociétés, avec des appellations plus ou moins différentes. Complexes militaro-industriels, lobbys, banques, multinationales, mafias pharmaceutiques, conseillers… etc. Ils existent partout et gravitent autour du pouvoir quand ce n’est pas eux qui le tiennent pour nommer un « Président » simplement pour l’autorité, ce que les politologues appellent « les démocraties totalitaires ». Le chef de gouvernement nous transmet donc le signal qu’il souhaite, avec son parti, se substituer à nos intermédiaires du pouvoir et se placer à côté de l’institution monarchique en allié stratégique pour les cinquante années à venir, bref, incarner le nouveau Makhzen, déjà qu’il a préempté à la commanderie des croyants une partie du symbolisme religieux qu’elle exerce et dont elle avait le monopole. Une stratégie long termiste dictée par les règles de propagande de l’islam politique international et qui en vrai dépassent largement le PJD, tant le processus à suivre à la lettre a été largement théorisé sous d’autres cieux. Si le communiqué de Hassad et Boussaid est peu intelligent dans la forme, il explique néanmoins au chef de gouvernent ceci, en d’autres termes: « Tu nous as piégé. Tu as laissé le décret pendant 5 ans sans le toucher et à deux mois des législatives tu nous as balancé aux requins facebookiens. Et ton silence et ta jouissance de nous voir dévorer par les marocains, et notre image salie auprès de notre Roi ». Le communiqué est naïf certes, empreint d’une sémantique « ville école » immorale de nos jours, mais honnête de ce point de vue.

Allons plus loin, Abdelilah Benkirane est un fin politicien disposant de la violence symbolique et redoutable de son référentiel, il sait qu’il peut compter sur l’absence de réaction des 30 autres partis politiques quand il déclare sur un ton étonnamment élevé le 1er mai 2016 en s’adressant au Roi « Nous ne voulons plus d’intermédiaires avec vous Majesté ». Il sait aussi que la gauche radicale marocaine ainsi que certaines sociétés civiles et médiatiques laicardes, obsédées par toute tentative d’affaiblissement du régime, ne monteront jamais contre lui tant qu’il titille le Palais et le Makhzen. Leur complicité silencieuse et inavouée démontre à quel point ces deux-là sont prêtes à se prosterner devant l’idéologie islamiste ennemie ne serait ce que pour voir l’institution monarchique affaiblie. Aujourd’hui, Benkirane passe à la vitesse supérieure avec l’affaire des lots de Rabat, traduit sa parole du 1er mai en acte et se dirige vers les 198 sièges au parlement le 7 octobre, la majorité absolue qu’il vénère plus que tout.

Personne n’est dupe. Pourquoi précisément ce terrain et pas d’autres, alors qu’il en existe plusieurs dans ce même cas? Quand on scrute la liste des bénéficiaires de l’actuelle liste publiée, il est troublant de voir la quasi absence de tout corps de l’armée, de colonels ou de généraux. Voilà, le PJD n’est pas encore prêt à confronter l’armée à deux mois des législatives, ce n’est ni prioritaire ni sage, l’armée électronique Facebook du PJD a encore besoin de quelques de dix milles postes pour prétendre faire passer les deniers résistants sous son rouleau compresseur. Le terrain de Rabat est donc sélectionné avec soin et depuis longtemps et il n’est pas question de toucher au décret de 1995, les choses sont parfaites telles qu’elles sont. À la minute de la publication du communiqué de Boussaid et de Hassad, le chef de gouvernement ricane et sait, avant nous tous, que les noms de ces deux là, membres de son propre gouvernement soit dit en passant, figurent dans la liste des bénéficiaires. Il y a quelques jours à Agadir avant que cette affaire n’éclate, Benkirane avait déclaré face à ses jeunes partisans « Je n’ai pas besoin de parler pour faire ma campagne électorale ». Il vient d’en donner une preuve. Le coup est très bien calculé.

Bref, avec une telle pression de la part de Benkirane et de son parti, les intermédiaires du pouvoir ont aujourd’hui le choix entre deux réactions possibles: la première est de subir leur affaiblissement et accepter que le PJD se substitue à eux progressivement, le prochain mandat du PJD au gouvernement aura donc pour mission la substitution totale avec plusieurs listes de rente à publier et à jeter à la société du commentaire que nous sommes, village planétaire et Facebook obligent. La deuxième, ne pas se laisser faire en infiltrant le PJD de l’intérieur par des éléments troubles ou le cas échéant créer une guerre locale, violente et hollywoodienne contre le terrorisme islamiste ou l’insécurité ayant pour objectif de neutraliser les efforts du PJD à vouloir être trop grand, mais qui coûtera cher sur le plan économique et touristique. Abdelilah Benkirane ne s’attend pas à cette deuxième hypothèse mais risque de la côtoyer plus vite qu’il ne le pense, c’est le prix à payer quand on veut tout, maintenant et tout seul. Si le Secrétaire Général du PJD joue à la diversion dans le but de sceller avec la monarchie son pacte de rêve, le seul réel et possible programme de l’islam politique sur terre marocaine, alors il devient intéressant d’observer les ripostes des intermédiaires actuels du pouvoir, ou leur remplacement.


3 commentaire

    • med ben hayoune-
    • 2 août 2016 at 12:33-

    Au moins PJD ne sont pas des bandits

    • ben hayoune-
    • 2 août 2016 at 12:35-

    peut être Benkirane n’as pas changer le décret , mais au moins PJD ne sont pas des bandits

    • Hajjar aziz-
    • 17 septembre 2016 at 22:51-

    Bonne analyse….le plus important c’est que ce PJD tellement décrié dans des médias à 2 centimes, a le ventre vide. Si, tout au moins, on pouvait travailler sans peaux de banane, celà pourrait s’avérer productif……mais il faudrait laisser ses intérêts de côté (avec une bougie on peut en allumer plusieurs)….à méditer. …

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