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La magie du temps, ou une brève esquisse d’une chrono-sociologie


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« Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais que je veuille l’expliquer à la demande, je ne le sais pas ». Ces paroles de Saint-Augustin, pour qui, c’est l’esprit humain qui introduit la dimension du passé, du présent et de l’avenir, pose avant l’heure la question du temps comme construction sociale, et interpelle son ontologie.

Le temps comme impermanence chez Héraclite, pour qui, on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, ou le temps « régressif » de la tradition « hindouiste » et l’âge du « Kali Yuga », ou encore le temps « cyclique » de l’éternel retour, constituent quelques-unes des multiples représentations de ce concept fuyant, et apophatique, occultées par l’hégémonie conceptuel du temps « moderne », vectoriel et linéaire. Cependant, ces modalités ou temporalités, survivent toujours à la marge, et continuent d’enchanter notre imaginaire et notre psyché.

Tout d’abord, le « temps mythique » ou « primordial ».

C’est aussi le temps de la première enfance, de l’homme, mais aussi du monde. Car l’enfant, vit dans un monde mythique et magique, peuplé de monstres et de fées, de pères noël et de miracles. La profonde nostalgie de cette temporalité et de ce paradis perdu ne le quittera jamais, d’où l’éternel lamentation du « avant c’était mieux ».

C’est aussi un temps où l’ordre émane du chaos, ou l’être procède du néant, où l’univers peut être créé en 6 jours, et où les gens pouvaient vivre des siècles, voir des millénaires. C’est le temps de la béatitude des origines, qui suggère l’idée que par un retour en arrière, un retour aux origines, on peut amorcer une nouvelle naissance et une nouvelle enfance.

Cela regroupe tous les mythes et rites initiatiques de retour à la matrice, du « regressus ad uterum ».

Ce retour à la matrice, rituel ou mythique, est signifié soit par la réclusion du néophyte dans une hutte comme dans certains rites celtiques, soit par une retraite spirituelle dans une grotte, symbole de la matrice première, ou encore par le récit de l’engloutissement d’un héro par un monstre marin, qui en se libérant en forçant le ventre de l’engloutisseur, retrouve une virginité spirituelle, à travers cette nouvelle naissance symbolique. Quant à l’homme moderne, il ne garde le lien avec la sacralité et la magie du temps primordial, qu’à travers les rêves, peuplés des fois d’êtres imaginaires et où tout est possible.

Ensuite il y a le « temps archaïque » ou « cyclique ».

C’est le temps agricole, le temps des saisons et le temps cosmique, où les hommes, étaient encore les serviteurs et les tributaires du Cosmos, de la nature et du mouvement des choses. C’est aussi le temps de la prière musulmane, dicté par la marche du Soleil dans le ciel. Le « nouveau » y est négatif, tandis que « l’ancien » y est attendu, avec impatience, dans un éternel mouvement cyclique de perpétuel recommencement. C’est un temps routinier, mais aussi féminin, car fécond et apaisant. C’est la temporalité pré-théologique.

Vient ensuite le « temps théologique », monothéiste et téléologique, ou pourrait-on dire « téléochronique », qui introduit un début de linéarité, et vient prolonger le temps « primordial », en annonçant le « temps eschatologique », celui d’une ultime époque de « béatitude » et de « paix », suivie du « temps apocalyptique », celui du feu, du sang et des gémissements, mais aussi de la libération et de la victoire des justes et des pieux. C’est le retour des miracles du « temps mythique et primordial », et du ré-enchantement final du monde.

Du côté de l’Inde, nous avons le « temps régressif ».

Également cyclique, ce temps annonce la dégradation inéluctable du monde, dans une succession de quatre cycles de dégénérescence spirituel.

La tradition cosmogonique « Hindoue » distingue quatre âges :

  • Le Krita Yuga, ou l’âge d’or du monde.
  • Le Trata Yuga, ou l’âge d’argent.
  • Le Dvapara Yuga, ou l’âge de bronze.
  • Et enfin le « Kali yuga», concept central dans la pensée de René Guenon, et qui est l’âge de fer ou l’âge noir, celui du chaos, de la souffrance et de l’éloignement des Dieux.

La phase finale de délivrance, correspondra comme souvent dans les traditions primordiales, à une nouvelle théophanie de « Vishnu », qui ramènera l’ordre et la morale, annonçant l’amorce d’un nouveau cycle de quatre âges.

Enfin, le « temps héroïque » ou « moderne », est une « chronomachie », une lutte avec le temps. Ce temps, linéaire et vectoriel, ce temps du mythe du « progrès », est perçu comme ce qui nous rapproche de la mort. C’est un temps cumulatifs sur le plan matériel, et où, contrairement au temps cyclique, le « nouveau » est perçu comme positif, et l’ « ancien » comme archaïque et révolu.

C’est le temps des révolutions scientifiques, culturelles, politiques et sociales.

C’est également un « chronoclasme », ou autrement dit un « anti-temps », puisqu’il s’agit de le dompter et de le fragmenter à l’aide d’agenda, d’emplois du temps et de planification. Mais surtout d’en neutraliser les effets, à l’aide de cure de jouissance, de chirurgie esthétique et de cosmétique. C’est donc également un « temps cosmétique ».

Ces quelques temporalités parmi tant d’autres, et qui ont structuré nos imaginaires depuis la nuit des temps, nous invitent à relativiser et à méditer notre condition humaine contemporaine, emportée par un paradigme temporelle « moderne », qui projette dans nos esprits, l’illusion d’une permanente accélération et contraction du temps, empêchant toute introspection et tout retour à la matrice des origines, source de toute ataraxie, de toute paix intérieure.


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