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D’un usage inique de la terreur


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Lorsqu’il a reçu le coup de fil d’une agence de recouvrement, agence travaillant pour le compte d’une grande banque, lorsqu’une voix métallique lui demanda de confirmer son nom, lorsqu’il lui fût aussi demandé s’il avait bien contracté, deux années auparavant, un prêt, pour l’achat d’un logement social…

Lorsque, au titre d’impayés trop nombreux, il lui fût clairement, fermement, et non moins froidement signifié que même si le total des impayés ne correspondaient qu’à 10 % du montant total de son prêt, – qu’il lui fallait rembourser, à l’horizon d’un mois, le total de la somme due, – soit 200.000 dh -,  s’il ne souhaitait pas que son logement soit repris… Lorsque tout cela fût dit et entendu…

L’Homme, halluciné par un tel verdict, et devant les yeux duquel l’image de sa famille jetée à la rue s’était matérialisée, l’Homme, l’époux, le père, tous, d’un seul et même corps saisi de panique, s’évanouirent sur le trottoir. Alors, qui est cet Homme, qui s’effondre de terreur, un matin pas comme les autres ? C’est un Homme comme beaucoup d’autres, dont la profession, simple, modeste, lui permet de gagner à peine un peu plus du Smig, soit pas plus de 3000 dh par mois…

Un marocain de 45 ans, qui, lorsqu’il reprend ses esprits, raconte comment, et au prix de quels efforts, – jusqu’à obtenir le Pardon Divin, dit-il la voix cassée -, il a acquis ce petit appartement situé à la sortie de Casablanca, dans le quartier de Rehma… Comment il lui a fallut, d’abord, réunir, les 50.000 dh d’avance, réclamés par le promoteur immobilier… Comment, ensuite, il a commencé de payer une traite de 1.500 dh, correspondant à la moitié de ses revenus…

Comment, un jour, du fait de la crise, il a été licencié, sans indemnités. Comment, en vérité, on en arrive à ne plus pouvoir payer sa mensualité, et même si un peu d’argent rentre, les priorités affluent et ne sont pas fixées autrement que par les nécessités vitales, premières. Nourrir les enfants, payer l’école, etc. Les nécessités, dont, à terme, on vérifie, les jours passants, qu’elles pèsent plus lourd, en vérité, que le remboursement d’un prêt, octroyé par une banque dont la richesse est incalculable, au point d’en être océanique, cette fortune dans laquelle une dizaine d’impayés ne sont qu’une goutte d’eau…

Bien sûr qu’à ne pas pouvoir payer, on découvre qu’on a peut-être plus les mêmes raisons de payer. Et même que la morale économique, si fragile, n’a même plus à réclamer ses droits. C’est là que le piège de l’habitude, mauvaise, qui se combine à celle des mois qui passent, et les deux combinées à la peur au ventre, celle de recevoir un matin, le coup de fil qui sonne la fin de cette pathétique récréation qui n’est qu’un cauchemar programmé par les circonstances !

Par ces fameuses conditions matérielles et psychologiques d’existence qui doivent, lorsqu’une telle situation éclate au grand jour, nous interpeller tous… Car de quoi s’agit-il ici ? D’un homme dont les moyens, un jour, disparaissent. Et avec eux, toute sa solvabilité si tant est qu’elle n’est jamais existée et dont le vrai nom est vulnérabilité potentielle… Devenue totale lorsque l’accident professionnel survient.

Une vulnérabilité totale, donc, sur laquelle va peser – à juste titre, car il ne s’agit pas d’en vouloir ici à une banque, légitime à réclamer son du – mais plutôt de poser la question d’une vie violentée sur laquelle va s’abattre, un matin, l’autre violence, celle des moyens de recouvrer une dette, qu’un homme doit honorer. C’est de cela et seulement de cela qu’il faut parler, ici. De la manière dont un homme endetté certes, reçoit, comme une balle entre les deux yeux, l’image d’épouvante de ses enfants, dormant désormais dans la rue.

Cette violence n’est pas tolérable, car si elle peut s’exercer, c’est parce qu’en vérité, elle déjà là, et se voit ainsi redoublée… Car autorisée. Violence de classe, dira-t-on… De même le jeune préposé au recouvrement, chargé de torturer symboliquement un modeste mauvais payeur doit-il, lui aussi, l’être, menacé de perdre son emploi, par la machine qui l’emploie et fait son beurre avec la peur !

Même si, à terme, on sait déjà que l’homme dont nous parlons, et qui en vaut des milliers d’autres, ne perdra pas sa maison, même si un arrangement – culture oblige –, sera trouvé, faire l’usage inique de la terreur est un grave manquement à la réalité psychologique, sociale et en vérité morale, de notre pays.


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