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La DGSN piégée par deux vidéos collées en une

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L’Etat de droit l’emporte-t-il sur Facebook ? Pas sûr. « Nul n’a le droit d’emmerder Facebook », doit être désormais le premier article du code pénal. Depuis des jours circule sur internet une vidéo composées de deux parties distinctes, d’un jeune marocain, supposément en état d’ivresse, déambulant les rues de Rabat en pleine nuit, dans une voiture luxueuse, une bouteille d’alcool à la main. Une seconde vidéo collée à la première, montre cette même personne, en pleine journée cette fois-ci, impliquée dans un accident de la circulation avec la même voiture, sans faire de dégâts humains fort heureusement. Aucune prise de sang au moment des faits, dûment constatée dans procès-verbal, n’existe, seules des suppositions. Doté d’un sens de l’humour très controversé et aux gestes peu civiques, à croire les commentaires sur les réseaux sociaux, ce jeune n’hésitait pas durant cette seconde vidéo, collée à la première, à se moquer du policier et de l’agent chargés de faire le constat de l’accident. Partagée par plusieurs pages sur Facebook mais aussi par certains organes de la presse électronique, la vidéo montée a suscité l’ire et l’indignation des internautes, qui n’hésitaient pas à tout relier à la situation sociale de la personne concernée ou encore à juger l’impunité qui règne, selon eux, au sein d’une partie aisée de la population marocaine.

Cependant, beaucoup de commentaires sont passés à côté de plusieurs autres détails, plus graves, prouvant encore une fois que le buzz demeure très superficiel et que nous sommes loin de dénoncer les réelles injustices comme nous le prétendons. Pire, une petite ballade nous a été proposée en Ferrari, et nous a divertit de l’essentiel. Face à l’ampleur de la polémique, la DGSN n’a pas tardé à réagir, annonçant « la suspension provisoire d’un inspecteur de police pour abus lors de la constatation d’un accident de la circulation ». Si ce communiqué avait, avant tout, pour but de calmer les ardeurs des internautes, il montre également que la police marocaine se laisse facilement avoir par la toile bleue qu’elle a du mal à contrôler. Le but ici n’étant pas de remettre en question l’intégrité des agents chargés de notre sécurité, mais de dénoncer l’irresponsabilité de ces commentaires et de ces sites électroniques qui, par un procédé atypique qu’il nous incombe de décrypter, une sorte de mal bouffe médiatique générant une obésité intellectuelle grave, pour les internautes, mais aussi pour la DGSN qui répond au tribunal Facebook.

Allons-y ! Qu’est ce qui nous prouve que les deux parties de la vidéo ont été enregistrées successivement, sinon plusieurs mois les séparant ? Rien. Qu’est ce qui nous prouve également que ce jeune était en état d’ivresse au moment de l’accident, comme le montre la deuxième vidéo tournée en plein jour cette fois-ci ? Rien non plus. La seconde vidéo ne contredit pas cette thèse, donc le bénéfice du doute va au profit de H.D, point barre. Et si l’officier de police n’avait aucune raison de croire que le conducteur était en état d’ivresse et qu’il avait simplement fait son travail ? Aucune preuve n’accable H.D d’ébriété au moment de l’accident, vidéo y compris, mais les commentaires sur Facebook ont décidé de leur propre version des faits et entendent faire justice eux-mêmes.

On peut tout à fait être sobre et se moquer des gens, pas besoin d’être ivre forcément. Mais le verdict moral est tombé sur Facebook et la police nationale décide de s’en mêler « médiatiquement ». N’aurait-il pas fallu suspendre les deux policiers après résultat de l’enquête, si faute il y a, et non avant ? Sauf si un nouveau moyen scientifique permet d’établir que vous étiez ivre il y a deux jours, auquel cas on risque d’être vite sollicité par la NYPD pour notre chère trouvaille, il est impossible de déterminer juridiquement l’état physique dans lequel se trouvait H.D au moment de l’accident. Un fait est certain, jamais un tel communiqué n’aurait été établi par la police marocaine si cette vidéo n’avait pas créé un tollé.

Maintenant revenons à ce que cette diversion amplifiée par le communiqué de la DGSN occulte de grave : la première vidéo exhibant la « cool attitude » de H.D, alcool au volant. La publicité de l’alcool au volant, flagrante au vu de la première vidéo, est celle qui nous concerne réellement au sein du tribunal de la vraie vie, pas celui de Facebook. Et elle n’a pas besoin d’une enquête de la DGSN pour être retenue comme preuve suffisante justifiant une plainte contre H.D pour publicité d’alcool au volant. Il est inutile de rappeler qu’aujourd’hui, même au Maroc, les jeunes et les moins jeunes circulent librement sur Facebook et sont exposés directement à tout ce qui y est publié. En regardant cette vidéo, un mineur de 15 ans est confronté frontalement à la banalisation de l’alcool au volant, et pourrait essayer facilement de faire de même une fois majeur.

Les internautes ont oublié l’essentiel, H.D sera libre comme un oiseau, et d’autres vidéos pourront être postées par d’autres personnes, alcool au volant, sans risquer quoique ce soit. Les autres questions que ce procédé tente d’occulter : qu’attend Abdelkader Amara, notre nouveau ministre de l’équipement et du transport pour porter plainte contre H.D pour publicité d’alcool au volant, lui qui a tant de travail à faire pour sécuriser nos routes de ce type de comportement extrêmement dangereux ? Joint par nos soins, le ministère en question n’a pas souhaité répondre à cette question. Pourquoi le gouvernement ne monte pas au créneau après les dizaines de millions de dirhams du contribuable investis dans la sensibilisation aux accidents de la route ? Autres concernés, les associations de lutte pour la sécurité routière. Nous avons contacté l’association nationale pour la sécurité routière ainsi que l’association Mzab pour la prévention routière et le développement, elles ont toutes deux déclarées qu’elles n’ont pas l’intention de porter plainte contre la publicité d’alcool au volant dans cette affaire. Voilà qui est dit et assumé. Normal, Facebook n’a interpellé ni le ministère ni les associations, trop obnubilés par la ballade en Ferrari grise.

Plus machiavélique cette fois, les sympathisant de l’article 483 se font aussi rares, l’attentat aux mœurs est bien puni par la loi !!! L’article 483 du Code Pénal stipule en effet que « Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l’obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams. L’outrage est considéré comme public dès que le fait qui le constitue a été commis en présence d’un ou plusieurs témoins involontaires ou mineurs de dix-huit ans, ou dans un lieu accessible aux regards du public. » Certes, l’affaire n’a rien de sexuel dans notre cas. Mais il y’a toujours possibilité de poursuivre H.D pour publicité d’alcool au volant, même s’il pourra toujours invoquer qu’il a été filmé à son insu dans la première vidéo et que c’est un jus d’orange qui remplissait sa bouteille, tant que le délit n’a pas été constaté au moment des faits. Seulement à ce moment-là, le jeune conducteur fera toujours valoir l’idée qu’il voulait prendre Facebook pour des imbéciles, et à ce titre, aucune loi ne l’interdit. Et à lire certains commentaires, franchement, la morale non plus. Mais il pourra au moins, en vue de cette publicité interdite par la loi, répondre de ses actes devant un tribunal et se voir retirer son permis de conduire, afin que la société soit protégée de ce type de comportement irresponsable et très dangereux, et que le sens de l’action publique garde un minimum d’honneur et de cohérence à l’égard des très jeunes et du public mineur. Soit dit en passant, combien d’internautes marocains ont critiqué Facebook d’avoir autorisé la diffusion d’une vidéo exhibant l’alcool au volant ? Pas beaucoup. Au lieu de cela, la technique de diversion oriente les opinions vers les origines sociales du jeune, un terrain plus fertile pour les échanges frustrés et opposant riches et pauvres. Très peu s’attardent à savoir si nous parlons bien d’obscénité des gestes ou des actes. Ou si Facebook est bien aujourd’hui un lieu où sont présents plusieurs témoins involontaires ou mineurs de dix-huit ans, ou un lieu accessible aux regards du public, comme le dit l’article ? Nous ne prétendons pas maîtriser la loi pour définir sous quel article cette personne doit être jugée, mais nous croyons fortement qu’un débat plus constructif et moins réducteur de l’intelligence des marocains aurait créé moins de confusion.

Aujourd’hui, deux agents de police ont été suspendu à cause de certains justiciers de Facebook, sont-ils les vrais responsables de la précarité de ces agents d’autorité qui ont visiblement fait leur travail jusqu’à preuve du contraire, à rappeler que la preuve d’ébriété est impossible à établir de manière certaine deux jours après les faits supposés. Une enquête diligentée pour enquêter sur l’enquête même de l’agent d’autorité, cela sent la précipitation face à une polémique incontrôlée, bref, le piège. Car la DGSN aurait dû agir dans le fond et engager une plainte contre H.D pour publicité d’alcool au volant, et nous épargner ce communiqué ridicule qui vide les procédures policières de leur sens et permet à d’autres gamins malicieux de tester les limites de l’exercice du respect des procédures d’arrestation et de la loi.

Allons-nous poursuivre toute personne qui se filme en train de faire tourner en dérision des gens en exercice ? Si H.D roulait en Dacia, il n’aurait pas été lynché par bon nombre de gens et c’est cela qui change tout. Et pourquoi attendre que H.D soit exemplaire ? Il n’est ni un politique ni un haut fonctionnaire, il a le droit de s’amuser, de se filmer avec sa voiture et de se moquer de qui il veut. Si une personne se sent humiliée dans sa vidéo, il lui appartient à elle, et à elle seule, de demander réparation au tribunal de la vraie vie, pas au tribunal de Facebook, pas à la DGSN.

Dans la vidéo en question, il n’apparaît pas qu’un agent de l’autorité ait manifesté un quelconque sentiment d’humiliation. En revanche, ce que H.D n’a pas le droit de faire, c’est d’exhiber l’alcool au volant, et seulement pour ce fait là, il faut le poursuivre et exhiber qu’il en sera ainsi. Est-ce réellement ce qui se passera ? Qu’il nous soit permis d’en douter, vu le comportement atypique du traitement médiatique qui a eu lieu, avec la complicité des commentateurs de Facebook dans leur grande majorité. Un rendez-vous encore une fois raté avec la société, destructeur de sens, faussé par la rapidité du traitement de l’information, la course au clic, la culture du mensonge et du montage, et enfin l’insulte.

Mais arrêter H.D trois jours après un banal accident constaté par deux membres de la police sans faire allusion aux charges retenus contre lui, juste pour donner de la « viande rouge » à Facebook. Le tribunal Facebook a d’autres règles de droit qui ne sont pas enseignés dans les écoles de droit, et qui vont dans le sens contraire de ce que nous appelions jusqu’ici, le bien commun, l’état de droit. Car ceci mène vers cela, et à lire les commentaires sur Facebook, il est désolant de voir que la protection du public mineur contre les effets pervers d’une telle publicité d’alcool au volant n’est pas le premier souci des usagers de Facebook, ils n’interpelleront pas la société civile ni le ministère de l’équipement et du transport à porter plainte, ils oublieront aussi leur propre argent perdu dans les campagnes de sensibilisation aux accidents de la route. Il aurait fallu peut-être la présence en plus d’une gonzesse dans cette voiture pour qu’ils demandent à revoir la constitution !!! Que sais-je ? Mais certainement, et grâce à Facebook, ils continueront à s’étaler sur l’entretien du choc riches-pauvres, degré d’ignorance oblige, celle-là même qui voudrait que les pauvres seraient prêts à devenir encore plus pauvres ne serait-ce que pour voir les riches moins riches.

H.D est libre et légalement, ne pourra être inquiété au sujet de l’accident. Par contre, il est devenu le premier marocain à faire la publicité de l’alcool au volant sans être inquiété, autorisant par ce fait des milliers d’autres jeunes à en faire autant. Les internautes n’ont plus d’énergie à consacrer à la protection de leurs mineurs, dégâts de la vitesse de la Ferrari grise et celle de la consommation de l’information, l’histoire s’arrête là. En fin de compte, H.D aura mené le temps de 48 heures en ballade les internautes, la DGSN et les médias… une belle ballade… en Ferrari svp. Terminus maintenant, descendez. Merci Hamza.


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